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1 - Te dire Adieu

La salle du trône, la plus grande du palais, était bondée. Chaque membre du peuple qui avait perdu un proche, ou chaque personne qui désirait joindre sa prière aux familles des victimes était présente. Tous avaient les yeux brillants, les épaules affaissées et les ailes baissés.

Comme eux, je gardais les yeux rivés sur le sol, lorgnant la robe noire que j'arborai aujourd'hui. Elle était simple, assez longue pour dissimuler mes pieds tout en traînant encore sur quelques centimètres derrière moi. Le tissu tombait d'un seul trait, et laissait entrevoir pour seule courbe celle de mes hanches et de ma poitrine - qui ne tarderaient d'ailleurs pas à disparaître, si mon estomac s'obstinait à vomir tout ce que je me forçais à me mettre dans la bouche. Mes cheveux avaient été tressés, et quelques mèches s'échappaient çà et là, encadrant avec souplesse la courbe de mon visage et la tiare d'argent qui barrait mon front.

Quelques jours plus tôt, trois seulement, mon visage et mes cheveux étaient recouverts de boue et de sang. Ils avaient depuis été nettoyés, mais les blessures, les courbatures et surtout ma mémoire se chargeaient de me rappeler sans cesse ce jour funeste. Comme si l'enfer avait débordé dans le monde des vivants, comme si je vivais un cauchemar éveillé... Je n'avais qu'à fermer les yeux pour que la scène repasse sous mes yeux, comme si je m'y trouvais à nouveau.

Bam.

Bam.

Mon cœur rata un battement, puis deux, avant de furieusement s'emballer, tambour à mes oreilles.

Bam. Bam.

Bam. Bam.

Je tremblai de tous mes membres. Mes yeux restaient figés sur cet endroit vide, sur lequel il se tenait une seconde auparavant. Ma respiration était hachée, douloureuse, rapide. Je n'entendais rien d'autre qu'un silence absolu, et les pulsions de mon cœur qui faisait tout pour continuer de battre malgré la souffrance immense qui subitement, s'était insinuée dans mes veines.

Soudain, quelque chose s'écroula en moi, se brisa en mille morceaux. Le nœud qui entravait ma gorge céda d'un coup, et un cri déchirant fendit le calme qui berçait l'instant. Quelque chose mouilla mon visage, et je ne sus si c'était la pluie ou bien mes larmes. Sûrement les deux.

Mes doigts se resserrèrent autour du tissu d'ébène, le serrant de toute leur force. Je m'empressai de regarder ailleurs, de me concentrer sur quelque chose, n'importe quoi. Mais ce n'étaient que des prétextes pour échapper à ces images douloureuses, et ainsi, empêcher mes larmes de couler en public. Pas ici, pas maintenant : pas sur l'estrade, devant tout le monde. J'étais l'Héritière, je devais me montrer forte, quoi qu'il en coûte. Même si, intérieurement, j'avais l'impression de mourir.

Je sus que ces tentatives étaient vaines quand une larme roula sur ma joue, et quand les images continuèrent de défiler, inéluctables.

Quelqu'un agrippa mes épaules, tenta de me maintenir contre lui, ou elle. Je me débattis, et hurlai si fort que le cri me rappa la gorge. Je n'en fis rien. Aucune douleur n'était capable d'éclipser celle que je ressentais en ce moment même. Les perles qui s'écoulaient sur mes joues étaient brulantes, déchiraient ma chair. La panique embrasait chaque cellule de mon corps. Était-ce un cauchemar? Où était Elyon? Que s'était-il passé? Pourquoi avais-je aussi mal? Étais-je en train de mourir?

Quelques éclats de voix parvinrent à traverser la bulle qui me retenait prisonnière :

- Seira... Seira!

Cette voix était noyée de sanglots, étranglée. Chaque syllabe prononcée sonnait comme un supplice.

Une ombre vint faire disparaître l'emplacement vide que je n'avais pas quitté des yeux. Quand je relevai le regard, je discernais un visage de peau mate, aux beaux yeux noisette et encadré d'une chevelure de cuivre tachée de boue et de sang. Lenora.

Elle me serra dans ses bras, me murmura qu'elle était à mes côtés, qu'elle était désolée. Je ne savais pas pourquoi elle s'excusait. Ce n'était pas de sa faute. Lenora me supplia d'arrêter de crier, qu'il fallait que je me relève. Je n'en avais pas envie. À quoi tout cela servirait-il, maintenant? Xerys n'était plus. Elyon, si ce n'était pas déjà le cas, mourrait d'ici peu. Mon oncle ne connaissait aucune pitié, il se délectait de chaque goutte de sang et larme versée.

J'inspirai et expirai plusieurs fois, profondément, comme le médecin royal me l'avait appris pour prévenir mes récentes et fréquentes crises d'angoisses. Selon lui, elles représentaient mon refus de me confronter à la réalité : je serais en déni. Je n'étais pas d'accord ; du moins, pas complètement. Je dirais que je me trouvais dans l'entre-deux : dans cette période où, l'incident étant encore récent, vous prenez petit à petit conscience de l'absence des êtres aimés. Les lits froids, les sourires disparus, les couloirs vides de ces voix si bien connues. L'enterrement, aujourd'hui, visait justement à permettre de tourner la page, de dire « Adieu ». Mais, si on ne le voulait pas ?

J'essuyai mes joues. Calme-toi, sauve l'apparence, pensé-je , en priant pour que personne n'ait remarqué ma détresse soudaine.

Ma mémoire continuait cependant de dérouler mes souvenirs, et je sentis ma respiration se faire de plus en plus hachée.

- Seira... nous... Nous devons partir! s'exclama Lenora. Roseris... Kalyra...

Dans l'obscurité qui enserrait mon esprit, je me rappelai soudain que Danamore était aux mains de l'armée d'Archaos. Celle-ci devait être en train de mettre à feu et à sang tout le royaume.

Je ne sus pas où je trouvai la force de me remettre sur mes jambes. J'acquiesçai, et j'entendis Lenora qui criait des ordres aux derniers soldats survivants. Ceux-ci étaient postés en arc de cercle autour de nous, la tête baissée, leur regard rempli de pitié. Puis, l'un d'eux se dirigea vers le corps de Xerys, toujours retenu par les bras de Leven. Délicatement, il voulut l'arracher des bras de mon ancien ami; Leven sursauta et, renfermant sa prise, s'accrocha de toutes ses forces au corps désarticulé. Bien que son visage soit tranché de larmes, son regard était vide, il semblait absent, comme s'il n'avait plus la force d'exprimer quoi que ce soit. Le guerrier meridiem dut user de violence pour le détacher de Xerys, et à bout de forces, Leven finit par la laisser partir. Il était parcouru de sursauts, sa tristesse se faisant plus violente. Ses yeux suivirent le soldat, qui s'éloigna et prit son envol. Je devrais être furieuse, et je savais que je l'étais toujours; simplement, le chagrin prenait tellement de place que je n'arrivais même pas à jeter un regard noir à Leven, quand ses yeux rencontrèrent les miens. Mon estomac se serra si fort que je craignis vomir.

Lenora me tira par les bras, son visage toujours baigné de larmes. Elle m'installa sur le dos d'Halcyon, et se plaça derrière moi en plaçant ses bras autour de ma taille pour prévenir une éventuelle chute. Quand les pattes puissantes de ma Lumière quittèrent le sol, je n'osai jeter un regard en arrière à celui qui nous avait tous trahis.

Leven. Ce moment avait été la dernière fois où je l'ai vu. Depuis, il avait simplement disparu, comme il savait si bien le faire.

Bien que ma colère fût toujours aussi virulente à son égard, je le cherchai dans la salle, m'attendant à le voir aujourd'hui. Nous rendions hommage à Xerys, ma meilleure amie, Xemehys et celle qu'il aimait. Ne devrait-il pas être présent ? Après quelques secondes à inspecter la foule, je dus me rendre à l'évidence : aucune trace de Leven. Mon poing se serra davantage, à en blanchir mes jointures, mais cette fois c'était de colère. Elle s'était sacrifiée pour lui. Xerys avait pris un poignard en plein cœur pour permettre à un traître de vivre, alors qu'elle méritait une vie heureuse. Elle était bien trop gentille, bien trop généreuse, et ça l'avait tuée.

Saphir, en l'occurrence, était toujours là, bien que très faible. Apparemment, c'était un cas assez rare, car normalement, à la mort de leur Amilié, les Amilis mouraient sur le coup. Ici, Saphir et Xerys auraient été tellement liées que mon amie aurait insufflé à la louve un peu de son énergie vitale, inconsciemment. Mais cette énergie s'épuisait peu à peu, et l'animal ne tarderait pas à la rejoindre à Lytenis. Et j'étais loin d'être prête à voir cet instant arriver. Saphir, avec le soutien de Lenora, me permettait de tenir le coup. Elle me donnait l'impression que mon amie n'était pas complètement partie.

J'eus un sourire triste en repensant à la belle louve noire, qui dormait en ce moment même sur mon lit. Elle était trop fragile pour se lever, désormais. Le moment fatidique approchait, et j'avais hâte de la retrouver pour ne pas perdre un seul instant en sa compagnie.

Mon rictus disparut dès que mes yeux se posèrent sur le centre de l'estrade, là où s'élevait le trône vide. Mon ventre se contracta avec violence dès que je me souvins de notre retour au Palais, juste après la bataille :

L'air froid du ciel et la pluie me giflaient le visage, et me faisaient peu à peu sortir de ma torpeur. Je pensais que nous avions pris notre envol pour Danamore depuis seulement quelques minutes, quand mes yeux embrassèrent la minuscule silhouette du palais de Roseris. Il ne pleuvait pas sur cette partie d'Amoris, et pourtant, je peinais à voir : la structure était presque noyée dans des nuages d'encre qui enveloppaient tout le continent, et les quelques points de lumière qui perçaient le voile noir me firent craindre le pire. Le territoire était en feu.

J'entendis le souffle de Lenora se couper derrière moi. Je devinai sa souffrance, sa peur, sa colère. Ses poings se serrèrent contre ma taille, et même si tout me disait de poser ma main sur la sienne pour lui montrer mon soutien, je n'y parvins pas.

Quand nous ne fûmes plus qu'à quelques centaines de mètres de Danamore et de ses terres, chacun de nous retint un hoquet d'horreur. De ce que nous pouvions voir de la capitale, tout était recouvert de cendre, brulé jusqu'à la dernière feuille. La nature qui avait peint de couleurs si pleines de vie la Terre de Soleil n'était plus; maintenant ne subsistait plus que la Mort, dans son allure la plus féroce.

- Non... gémit Lenora.

Halcyon fendit la fumée de ses grandes ailes blanches, qui détonnaient dans l'obscurité de ciel. Le Soleil devrait siéger haut dans le ciel, et pourtant, aucun de ses rayons n'était encore visible.

Mon Amili se posa sur le parvis du Palais, et la poussière s'envola par traînée grise qui chatouilla nos narines. Le silence était absolu, seuls étaient perceptibles les crépitements des dernières flammes achevant leur œuvre.

- Où sont-ils tous passés? souffla Lenora, comme si elle n'osait parler trop fort.

Je haussai les épaules, m'obligeant à rester vigilante, au cas où une présence non désirée et dangereuse surgirait subitement. Mes yeux se plissèrent. J'affinai aussi mon ouïe, et finis par discerner, étouffé par le vent au dehors, une certaine agitation, un brouhaha grave et feutré. Je désignai le couloir principal en face de nous d'un coup de tête, et m'élançai dans celui-ci. La dernière troupe de soldats et Lenora me suivirent sans un bruit. Je luttai contre les images sombres qui m'assaillaient alors que je franchis d'un pas faussement assuré le couloir dallé de marbre. Je me revoyais quelques jours plus tôt, face à un Elyon épuisé qui avait volé jour et nuit pour m'annoncer m'aimer.

Les bruits lointains se firent soudain plus nets, signe que nous nous rapprochions de la source. Enfin, au détour d'un couloir, je reconnus l'une de mes femmes de chambre, Esland. Elle ne paraissait pas blessée outre mesure, bien qu'une traînée de sang recouvrait sa joue droite et qu'elle boitait légèrement. Ses bras portaient avec difficulté tout un matériel médical, et une angoisse profonde déformait ses traits.

Quand la jeune femme nous aperçut, ses yeux s'agrandirent d'horreur et elle sursauta en poussant un petit cri.

- Vos Altesses! C'est vous...

- Esland, où est tout le monde? Où est la Reine? s'enquit Lenora.

- Sa Majesté est... Sa Majesté est...

La suivante fondit en larmes, et Lenora se pressa auprès d'elle pour obtenir davantage de réponses.

- Esland, que s'est-il passé?

La jeune servante fit un cruel effort pour retrouver sa respiration, et entre deux sanglots, parvint à articuler :

- La Reine a créé une Aegis royale... Quand les Ombres et l'Armée noire ont fini par disparaître, elle s'est évanouie... elle ne se réveille pas... son âge...

Je sentis mon visage blêmir. Celui de Lenora se fit translucide. Nos cœurs augmentèrent de cadence, nos mains se firent moites.

- Mène-nous à elle, articula la jeune princesse, ses deux mains encadrant les épaules de la suivante.

Cette dernière acquiesça, toute tremblante, avant de s'engager dans le couloir menant aux appartements royaux. Sur le trajet, nous passâmes devant le grand Hall; c'est de là dont provenait les bruits que j'avais perçus. Râles, gémissements, pleurs, respirations hachées... Chaque recoin était occupé de matelas sur lesquels reposaient des corps. Quelques personnes encore valides appliquaient onguents, huiles et bandages sur les blessés, et recouvraient d'un drap ceux qui nous avaient déjà quittés. Lenora ralentit de cadence, ses yeux détaillaient en tremblant les victimes. Ses genoux faillirent se dérober sous elle, mais elle tint bon.

- Mon Dieu, laissa-t-elle échapper.

Les gardes qui nous accompagnaient, sans attendre une injonction quelconque, se précipitèrent pour apporter leur aide. L'un d'eux s'écroula devant un corps inerte, une jeune femme à peine plus jeune que je ne l'étais. Je détournais le regard.

Esland poursuivait sa course, et nous nous empressâmes de la rattraper. Les yeux de Lenora étaient bordés de larmes, jamais je ne l'avais vue ainsi. Xerys, Elyon, son peuple... Si Kalyra devait à son tour y rester, qui resterait-il? Que deviendrions-nous?

Nous finîmes par gagner la chambre royale. La porte était fermée, mais je parvenais à entendre des chuchotements, des voix étouffés... des sanglots.

Sans attendre qu'Esland n'enclenche la poignée, Lenora se précipita à l'intérieur. La porte s'ouvrit en grand, et il s'installa un calme absolu. Briseis, la mère de Lenora, se trouvait au chevet de Kalyra, les larmes aux yeux; ma grand-mère était allongée sur l'immense lit de draps blancs, qui trônait au centre de la pièce. Aarin, l'un des généraux de division, se trouvait là également. Nulle trace d'Iros, ou de Seren, commandante des armées. Le père de Lenora, Reagal, était présent, une main consolatrice sur l'épaule de sa femme. Je ne l'avais aperçu qu'une fois au cours de mon séjour à la cour meridiem, alors je mis un temps avant de le reconnaître, surtout qu'il se trouvait en armure de combat. Des cheveux poivre et sel, une peau foncée, des yeux vifs et sévères, et de longues ailes brunes. Son regard se voila d'un soulagement infini lorsqu'il reconnut sa fille. Les autres personnes présentes dans la pièce relevèrent la tête dans un bel ensemble, et Briseis se précipita dans les bras de sa fille.

- Lenora... Ma chérie, tu es vivante.

La belle rousse se laissa faire, et répondit même à l'étreinte de sa mère. Ses yeux noisette traduisaient pour elle l'apaisement qu'elle ressentait en découvrant ses parents, sains et saufs.

Briseis se tourna ensuite vers moi, et m'enlaça à mon tour. Je n'étais capable d'aucune tendresse; mes bras restaient inertes le long de mon corps. Mes yeux étaient figés sur le corps de ma grand-mère.

- Qu'a... qu'a-t-elle?

Et ce fut les premiers mots que je parvins à prononcer depuis plus d'une heure.

- L'édification d'une Aegis est un sort qui requiert habituellement plusieurs personnes... Ici le sort n'a pas été mené à terme, et heureusement : Kalyra a frôlé la mort en l'effectuant seule. Si nous ne l'avions pas arrêtée avant, elle ne serait plus parmi nous à l'heure qu'il est.

Lenora retint un sanglot, une main devant sa bouche. Reagal caressa, d'un geste étrangement doux pour sa carrure, le crâne de sa fille.

Moi, je n'étais capable d'aucun sanglot, comme si je n'étais plus qu'une coquille vide, comme si j'avais déjà écoulé toutes les larmes de mon corps. L'estomac noué, les jambes flageolantes, je m'avançai vers le lit et m'agenouillai. La pièce fit silence.

Je saisis la main de Kalyra, et me concentrai sur son visage, dans l'espoir de voir ses paupières remuer. Sa peau était anormalement terne, elle avait perdu cet éclat qui faisait d'elle l'incontestable reine du Peuple du Soleil. Ses rides n'avaient jamais été aussi apparentes, ses cheveux retombaient raides autour de son visage. Ses plumes avaient perdu de leur brillance, leur belle couleur marron n'était plus qu'un gris dépourvu de richesse. Tout ceci n'était que la manifestation physique de l'immense détresse magique qui la frappait en ce moment. Cela annonçait la mort. Même le contact de sa main ne me procurait aucune sensation; je ne décelai aucune magie, du moins aucune assez puissante pour la ressentir. Kalyra était inconsciente, son pouvoir n'était plus actif.

- La reine nous a sauvés, ajouta Briseis, dans un murmure. Grâce à elle, nous avons pu gagner du temps pour nous organiser et mieux faire face à l'attaque. Si elle devait... enfin, son sacrifice n'aura pas été vain.

Je baissai la tête, luttant pour ne pas m'effondrer devant tout le monde. Ce n'est pas possible... ce n'est qu'un cauchemar...

Ainsi, la reine était inconsciente, allongée sur un lit depuis trois jours, en situation de soins intensifs. Je restais à son chevet du lever au coucher du soleil, guettant le moindre signe de vie. Elle était la dernière famille proche qu'il me restait, je ne pouvais pas la perdre. Et, en plus de cela, je n'étais pas prête à assumer ce que sa mort impliquerait : je devrais prendre les reines du royaume. Comment ? À l'inverse de Lenora, je n'avais jamais été formée à cette fin.

Discrètement, ma main chercha celle de cette dernière, qui se tenait bien droite à mes côtés. Elle était splendide dans sa robe, en tout point semblable à la mienne. Le deuil, paradoxalement, lui allait à ravir. Ses cheveux de feu étaient sévèrement tirés en arrière, et regroupés en un chignon bas décoré de perles noires. Cela dégageait son cou de cygne, et mettait en valeur son port de reine. Elle était splendide. Il fallait être aveugle pour ne pas remarquer qu'elle s'était entrainée à la fonction d'Héritière toute sa vie. Elle méritait bien plus que moi ce titre.

Sa mère et son père, Briseis et Reagal, derniers adultes de la famille royale, présidaient la cérémonie. Ils se tenaient de l'autre côté du trône, sur l'estrade, une marche au-dessus nous. Normalement, j'aurais dû me trouver à droite du trône, mais j'ai refusé. Je n'aurais pas pu me tenir seule devant tous ces Meridiems qui me dévisageaient tout en endurant la cérémonie. J'avais besoin du soutien de la belle rousse, même si nous n'avions jamais été très proches. Quoique... depuis trois jours, elle se rapprochait davantage de ce qui, pour moi, était une vraie amie. Une amie forgée dans la douleur, certes. Mais une amie quand même, et notre lien n'allait qu'en s'améliorant.

Juste en face de l'estrade et devant le peuple, se trouvaient également les plus hauts placés : ministres et commandants d'armées - et c'était une pression supplémentaire, car tous attendaient de moi que je fasse mes preuves. Aarin figurait parmi eux, et il était bien le seul à me regarder avec une certaine empathie. Ce dernier avait du reste été nommé Général des Armées meridiems, remplaçant Iros sur le poste. L'ancien militaire, mort au combat durant l'attaque, faisait partie des défunts que nous honorions aujourd'hui, avec Seren.

À la vue du nouveau général, la dernière scène de cette journée d'horreur jaillit sous mes prunelles. Sa question résonnait encore dans mes oreilles :

- Où est Elyon? susurra soudain Aarin, depuis un coin de la pièce.

Qui eût cru que deux syllabes pouvaient faire aussi mal? Mes oreilles sensibles perçurent la respiration de Lenora qui s'était arrêtée. La pièce se fit calme, tout le monde attendit une réponse. De ma part, sûrement. Je l'aimais. Il était mon âme sœur. Je devrais savoir où il se trouvait.

Ma gorge était nouée, l'air arrivait à peine à gagner mes poumons. Mes épaules tressautèrent, et mon front retomba contre le matelas. Le tissu se mouilla. Moi qui croyais ne plus être capable de la moindre larme, voilà que le sceau se déversait une nouvelle fois, comme s'il ne faisait que se remplir, encore et encore, inlassablement.

L'air se fit épais et lourd. Plus personne ne respirait, aucun n'osa se figurer l'impensable : Elyon n'était plus. Le Guerrier de l'Aube, le soldat si redouté, l'Invictus qu'Amoris pensait invincible avait disparu. Bien sûr, s'il n'était pas déjà mort à l'heure qu'il est.

Et tout ça, c'était ma faute. Il s'était jeté sur moi pour m'éviter un sort qui m'était destiné; il l'avait pris à ma place. Blessé à mort, il avait disparu dans un vortex de fumée d'ébène, tout droit sortie des enfers.

- Mon Dieu... murmura Briseis, pour elle-même.

J'imaginai leurs visages, pétrifiés, figés dans une expression d'horreur.

L'enfer ne faisait que commencer.

Ma gorge se serra, et je sentis mes genoux flancher. Lenora, comme si elle avait senti mon trouble, passa son bras autour de mes épaules.

Mon regard embrassa le centre de la salle, dans lequel étaient disposés, sur des piédestaux, les cercueils des défunts. Ceux d'Elyon et de Xerys étaient semblables à tous les autres - faits de bois rouge, couverts de fleurs aux couleurs crépusculaires et décorés d'enluminures dorées - à la seule différence que celui de mon âme sœur était vide. Son corps avait disparu dans le vortex d'Archaos, et avait sûrement été réduit en pièces puis brulé par mon oncle. Du moins, c'est ce que supposaient les Faucons, services secrets meridiems, depuis que son armure avait été retrouvée sur une plage : elle était recouverte de suie et de sang séché. Le sien, de toute évidence.

Il n'y avait plus eu de doutes possibles, après cela : soit Elyon était mort sur le coup, soit des suites de ses blessures. Dans tous les cas, il était mort.

Il était mort.

Ces mots sonnaient toujours aussi étrangement dans ma tête. Oui, le docteur avait peut-être raison : peut-être étais-je réellement en déni. À moins que ce ne soit cette partie de moi qui s'exprimait ? Celle qui tant qu'elle ne verrait pas son cadavre de mes yeux continuerait de le croire disparu ? Celle qui se raccrochait au fait que, pour l'instant, notre lien n'avait pas encore été brisé ? Cette partie de moi remuerait ciel et terre jusqu'à le retrouver. Quitte à y passer un siècle ou une éternité, quitte à y laisser ma vie.

Tous ces vieux politiciens siégeant au Conseil s'obstinaient à la faire taire, à vouloir me faire tourner la page - faire compter le cercueil d'Elyon parmi les autres était leur idée. Je ne savais plus qui croire.

Si seulement tu étais encore là. Si vous étiez encore là.

La cérémonie commença dès lors que les prêtres et prêtresses meridiems firent leur entrée. Un groupe de dix individus traversa la salle en volant, dans un ballet de plumes grises, d'argent et de soie blanche. Les cinq prêtres et cinq prêtresses, dans un enchaînement parfait, tournèrent alors autour des cercueils, avant de se poser devant l'estrade avec une légèreté déconcertante. Ils s'inclinèrent devant la Famille royale, les généraux et les ministres, et reculèrent. Une mélodie s'éleva alors ; elle n'était pas douce comme nous aurions pu le penser. Non, elle était vive ; son rythme frappait les murs de la salle et résonnait dans nos oreilles. Elle était lancinante, envoutante, endiablée... mais incroyablement triste.

Les prêtres et prêtresses se positionnèrent en ronde, puis joignirent leurs mains. Un fin filament de magie se tissa alors entre eux, presque imperceptible si l'on n'y prêtait pas attention. Des murmures s'échappèrent alors de leurs lèvres, se fondant dans la musique qui avait soudain adopté une cadence plus pesante. L'incantation était récitée d'une voix grave, qui, de l'extérieure, était perçue comme un bourdonnement.

Un feu immense et dévorant engloutit brusquement les cercueils. Je sursautai presque tant son jaillissement fut soudain ; mes doigts se resserrèrent autour de ceux de Lenora, qui raffermit sa prise.

Dans un même mouvement, la foule baissa la tête. Tout le monde présent sur l'estrade suivit, et je m'appliquai à faire de même. Je pouvais sentir la chaleur s'échapper des flammes et venir me lécher les joues. L'atmosphère était parcourue d'une énergie étrange, qui relevait du sacré. Mon cœur battait moins vite, comme s'il voulait se faire plus discret, comme si rien, aucun bruit, ne devait éclipser la mélodie.

C'est alors que, un à un, les cercueils se firent cendres. Celles-ci se fondirent dans l'air et montèrent jusqu'au ciel, accessible par la coupole ouverte pour l'occasion. Elles dansaient au gré de la brise, du vent, de nos moindres souffles. Chaque personne présente dans la salle avait les yeux braqués sur elles, derniers fragments de ce qu'étaient autrefois des êtres aimés, partis trop tôt. La musique s'éteignit lentement - ou alors peut-être n'était-ce que moi, qui n'étais plus capable de l'entendre ? - et personne n'osa trancher ce silence qui s'était lové entre chacun de nous. Il était tous les mots que nous ne pouvions dire, toutes les pensées que nous ne pouvions formuler. Il était toutes les larmes qui coulaient en nous à cet instant, tout l'amour que nous ne pourrions plus exprimer, mais qui demeurerait. Il était tout ce que nous ne pouvions exprimer, là, maintenant, pour témoigner de notre tristesse.

Le peuple du feu, né des flammes, redevient cendres, pensé-je, hypnotisée par ces poussières lumineuses qui, de l'endroit où je me tenais, pouvaient apparaître comme de minuscules lucioles.

Le visage de Xerys et d'Elyon parut se dessiner à travers elles. Ma gorge se serra si fort que ma respiration en fut coupée. La chaleur qui s'échappait du grand brasier réchauffa mes joues jusqu'à en faire s'évaporer mes larmes, que je n'avais pas senties couler.

Je vous aime.

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