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11 - Ferme les yeux

Je ne m'étais pas sentie aussi forte depuis longtemps - l'adrénaline, sûrement. Ou alors était-ce cette détermination invincible que je ressentais quant à l'idée de protéger cette petite fille entre mes bras, à n'importe quel prix.

Mes ailes battaient l'air avec violence, s'opposant avec fureur contre les vents violents amenés par la tempête. Et pourtant, je ne ressentais aucune fatigue.

Je jetai une rapide œillade par-dessus mon épaule, guettant l'avancée des Ombres. Ces dernières n'étaient plus qu'à cinq-cents mètres des derniers Meridiems partis, tout au plus. Autrement dit, il suffirait qu'elles accélèrent la cadence pour nous rattraper en moins d'une dizaine de secondes. Tous mes muscles se figèrent. Nous n'en ressortirons pas vivants. Quoiqu'il arrive, le meilleur scénario impliquerait quelque deux-mille morts.

Sans laisser transparaître une once de peur sur mon visage, je chuchotai à l'oreille de ma petite protégée :

- Ferme les yeux. Tout se passera bien, je te le promets.

Elle obéit, opinant de son petit nez rougi par le froid.

Je concentrai mon regard sur ce qu'il advenait devant moi : une horde de Meridiems, guidée par mon Amili. Halcyon avait réussi à prendre suffisamment d'avance, de sorte qu'il ne soit plus qu'à quatre ou cinq kilomètres de l'Aegis de Para'bell. C'était déjà ça, mais tellement peu...

Les minutes qui suivirent furent des plus longues de mon existence. La petite bulle scintillante que j'apercevais au loin semblait rester toujours de la même taille, comme si, sans le savoir, je faisais du surplace. À l'inverse, les Ombres derrière nous se faisaient de plus en plus immondes et immenses. Elles étaient maintenant assez près pour que ma vue puisse observer leur dentition, rouge de sang.

Au bout de trois minutes, alors que nous n'avions parcouru qu'un tiers du trajet, les premiers hurlements de douleur surgirent derrière moi. Je ne pus me résoudre à détourner la tête. J'avais une parfaite idée de ce qui se passait dans mon dos : les Ombres se jetant sur les Meridiems de fin de peloton, enfin à leur portée ; leurs dents d'abattant sur leurs ailes pour les réduire en charpie ; les victimes dégringolant les quelques centaines de mètres les séparant du sol, certains rattrapés par les créatures pour être dévorés, tandis que les autres achevaient leur chute pour s'écraser avec violence.

D'une de mes mains, je tentai de boucher les oreilles de la petite fille qui, à l'entente des cris, s'était pétrifiée.

Les Ombres n'avaient jamais été aussi proches. Arriverons-nous seulement à atteindre Para'bell à temps ? Aurons-nous seulement une chance de nous défendre face à ce qui nous poursuivait ? Je connaissais la réponse à cette dernière question, bien sûr. Si Elyon avait été là, si j'avais toujours mes pouvoirs, peut-être ; mais ce n'était pas le cas, et se baigner d'illusions n'était pas permis.

Je hurlai aux citoyens derrière moi d'accélérer, encore et encore, qu'ils ne devaient rien lâcher, que nous y étions presque. Vaeri me fit écho, un peu plus devant. Moi, je puisais dans toute l'énergie que j'avais réussi à réunir ces derniers jours, et dans celle que je ne me soupçonnais pas ; je mobilisais tous ces nouveaux muscles produits par mon corps de Meridiem au cours de mes entraînements.

Quand nous ne fûmes plus qu'à deux petits kilomètres de la sphère protectrice, je vis mon Amili franchir la paroi de l'Aegis. Un certain soulagement me traversa ; nous y étions presque.

Derrière moi, il ne devait rester qu'une petite centaine de personnes, sur les trois centaines qui m'avaient emboité le pas au départ du village. Les dragons massacraient quiconque se trouverait trop proche de leurs gueules, en un véritable bain de sang. Je retenais mes larmes de toutes mes forces ; dans mes bras, la petite serrait ma tresse si fort qu'elle me tirait les cheveux. Son visage poupin était profondément enfoncé dans mon cou, comme si elle souhaitait disparaître. Les larmes dévalaient ses joues et de temps à autre, elle lâchait un petit gémissement.

- Tiens bon, lui chuchotai-je, mon souffle entrecoupé. Nous serons très vite en...

Je n'eus pas le temps de finir ma phrase, un rugissement résonnant à seulement quelques mètres. Je me renversai à toute vitesse, pour découvrir une Ombre, juste derrière moi. Elle était encore trop loin pour me toucher, mais ce n'était qu'une question de secondes. Et je savais mieux que quiconque ce qu'il arriverait, si j'étais griffée.

- Seira ! s'écria Vaeri.

Son souffle était perceptible sur mes ailes, sur mon dos. Où alors était-ce le vent ?

Je redoublai d'efforts, à m'en brûler les muscles. Je ne pouvais pas tomber maintenant, pas si près du but ! Il ne restait que quelques centaines de mètres avant l'Aegis !

- Ne te retourne pas, avance ! ordonnai-je à ma mentore.

Je devais savoir qu'elle s'en sortirait, qu'elle conserverait ses quelques centièmes d'avance qu'elle avait sur moi, même s'ils devaient lui sauver la vie et causer ma perte.

Non, je ne pouvais pas penser ainsi. Je n'étais pas seule, j'avais fait une promesse. Et je la respecterai.

Un nouveau rugissement fit vibrer l'air à côté de mes oreilles. Quelque chose frôla mon pied. Là, tout se passa extrêmement vite.

Cent mètres.

Une griffe m'écorcha le molet, et je me mordis la lèvre si fort que le sang en jaillit.

Soixante-dix mètres.

Un jet de flammes vint me lécher les ailes, et contre toute attente, je ressentis la brûlure, cette fois. Cuisante, dévorante. Réduisant à l'état de cendre une plume après l'autre. Là, je ne comptai plus que sur un miracle pour me sortir de là. Un miracle, c'était trop demander ?

Quarante mètres. Je n'avais jamais été aussi proche, mais j'étais aussi blessée, maintenant. Le venin me brûlait la jambe, remontant à toute vitesse le long de mes veines. Les membranes de mes ailes cuisaient. En somme, je perdais de la vitesse.

Ma vision se fit trouble, mes oreilles sifflaient. Non, je tiendrais bon. Mes bras se resserrèrent contre ma protégée, tremblante. Si j'allais devoir la projeter pour qu'elle puisse passer ce fichu bouclier, je le ferais.

Trente mètres.

J'entendais des cris, des pleurs. Une silhouette blanche passa à toute vitesse à ma droite. Des grognements retentirent. Je les reconnus tout de suite ; ils étaient d'Halcyon.

Non.

Mon Amili était encore trop jeune, il n'avait aucune chance face à ces Ombres de plusieurs millénaires. Ses écailles n'étaient pas encore assez solides ni ses griffes assez aiguisées. Des larmes acides finirent par trancher mes joues, alors que je me voyais déjà tout perdre.

Vingt mètres.

Les boules de feu se mirent à pleuvoir autour de moi. Je devais me trouver dans la zone de tir des remparts. Des bras vinrent me supporter ; deux hommes, si ma vue n'était pas double. Autour de moi, une ronde d'une quinzaine de soldats se forma, leurs mains chargées du feu magique meridiem.

Dix mètres. Dix, minuscules, mètres.

Une brèche s'ouvrit dans l'Aegis. Soutenue par ces deux paires de bras, protégée par cette muraille humaine, je la franchis sans encombre. Ce fut ce qui se passa ensuite qui alimenta le cauchemar.

À peine eus-je posé mes pieds au sol que je confiai la petite fille à l'un des hommes qui m'avaient portée. Puis, je fis volte-face à toute vitesse, prête à ressortir pour chercher mon Amili. J'en perdis l'équilibre, et l'on me maintint par le bras.

- Votre Majesté, restez ici.

- Non ! Vous ne comprenez pas... Ils sont encore dehors ! Ils...

Personne ne me répondit. Bien que le silence avait déserté les lieux, remplacé par des gémissements, des sanglots, des vociférations, il ne s'était jamais fait aussi assourdissant à mes oreilles.

- Halcyon, les villageois... et...

Je cherchai ma mentore du regard, mais mes yeux étaient recouverts d'un voile.

- Où est la Colonelle Norqirell ?

Au mutisme qui suivit ma réponse, je compris qu'elle aussi, elle était encore dehors.

- Non ! Il faut, il faut...

Les mots se mélangeaient sur ma langue et dans ma tête, je n'avais simplement aucune idée de ce que je devais faire de cette impuissance et de cette détresse qui me tombaient dans les mains.

L'on me saisit le deuxième bras, certainement car je recommençai à m'agiter. Ainsi immobilisée, je n'eus d'autre option que d'observer ce qu'il se passait derrière l'ouverture, derrière la paroi de la sphère.

La ronde qui était venue me couvrir était encore en place, accompagnant les derniers survivants. J'en comptai trente-huit, et pas un seul d'entre eux ne semblait indemne. Enfin, fermant la marche, Vaeri : elle ne tenait plus son petit garçon entre les mains, mais un bébé, qui hurlait si fort qu'il en tremblait. Tous passèrent l'ouverture, si bien qu'il ne restait dehors que ma Lumière.

Mon cœur battait si fort dans ma poitrine qu'il pourrait s'en décrocher. L'angoisse me donnait envie de vomir.

En cet instant, j'aurai vendu mon âme pour être capable de générer un bouclier, n'importe lequel, même instable, tant qu'il me permettait de ramener Halcyon vivant à l'intérieur.

- Halcyon ! hurlai-je. Halcyon, rentre !

Mon dragon semblait gravement blessé, mais heureusement il était encore en vie. Il affrontait non plus une, mais six Ombres à la fois. Son avantage par rapport à ses ainés était sa taille, et sa légèreté. La Lumière était plus rapide, plus réactive ; elle se faufilait au-dessus et en dessous des Ombres, derrière elles, puis sous leurs ailes, de sorte que ces dernières ne puissent jamais vraiment l'atteindre. Leurs écailles noires et blanches se mélangeaient dans la rage du combat mené.

Tous les soldats présents avaient les yeux braqués sur la scène, aux aguets, complètement silencieux. Voir ces deux créatures de légende se battre avait quelque chose de divin, de dépassant.

Enfin, une des Ombres eut un instant d'hésitation, alors qu'elle avait mordu dans le vide. Halcyon s'était dégagé tellement vite qu'il en était presque devenu invisible, une seconde. Ce court laps de temps fut cependant suffisant pour qu'il puisse rejoindre l'ouverture, alors que les autres dragons se retrouvaient déstabilisés.

J'inspirai à nouveau uniquement quand l'entièreté du corps de ma Lumière eu passé l'Aegis.

Halcyon atterrit à côté de moi, repoussant quiconque se trouverait en travers de son passage. La créature était blessée : de nombreuses entailles barraient ses flancs, son encolure, ses ailes ; pourtant, ses pupilles étaient dilatées, inquiètes, braquées sur ma jambe droite. Je suivis son regard, et découvris l'état de ma blessure. C'était simple : une longue entaille s'étendait du bas de mon genou à ma cheville, en découpant tout mon mollet. On pouvait observer mon muscle, dont le sang noirci de venin formait une flaque sur la pierre du sol. La douleur avait été éclipsée par la vitesse et l'intensité des évènements, balayée par l'adrénaline. Mais, à la vue de la gravité de la plaie, elle explosa d'un coup. Je me mordis la lèvre pour ne pas crier. Je retrouvais cette sensation de torture que je pensais avoir quittée pour de bon il y a un peu plus de trois mois.

Mon dragon s'immobilisa devant moi et, lentement, abaissa sa tête contre ma jambe. Sa gemme frontale scintilla. La dernière fois, le venin se trouvait dans tout mon corps ; aujourd'hui, heureusement, il n'avait pas encore eu le temps de se répandre autre part que dans ma jambe. Mais il fallait tout de même agir, car une fois dans l'artère, le poison atteindrait mon cœur en moins d'une minute. C'est alors que, tandis que la lumière dans la gemme d'Halcyon se fit de plus en plus intense, je sentis la douleur se déplacer en un endroit précis. Chaque mouvement du venin me brûlait les veines. Jamais garder la face n'avait été aussi dur et pourtant, je ne pouvais me permettre de faire étalage de ma douleur au milieu de ces soldats, de ces gens ; moi, j'étais vivante. Blessée, mais vivante. Certains ici venaient de tout perdre.

La sensation de brûlure perdura encore dix longues secondes, avant que le venin ne s'extraie de l'entaille, en une bile de liquide opaque et noir d'encre. Puis, tout cessa immédiatement. Deux soldats se précipitèrent jusqu'à moi pour appliquer une pommade verte et visqueuse sur la lésion, tandis que ceux qui me soutenaient s'appliquèrent à me redresser.

Je n'eus pas à attendre longtemps avant que ma mentore ne rapplique à mes côtés, les joues rouges et le regard troublé par l'angoisse :

- Ne recommence jamais cette folie, tu m'as comprise ?

Puis, dans un marmonnement presque inaudible, elle ajouta :

- Cela dit, je suis fière de toi. Tu as sauvé beaucoup de gens... et ton baptême de l'air est définitivement achevé. Tu aurais presque réussi à me dépasser.

Sans prendre en compte sa remarque qui, en temps normal, m'aurait bien fait sourire, je protestai :

- Ce n'est pas assez. Ils sont quoi, deux-mille survivants en tout, sur les cinq-mille évacués ? Nous aurions dû faire plus, nous...

- Non, tu ne réalises pas. Ces gens n'avaient aucune chance, c'était perdu d'avance. Et pourtant, tu y as cru et tu en as sauvé autant que tu as pu... C'est...

Elle ne finit pas sa phrase. Je relevai la tête, intriguée par ce soudain mutisme. La colonelle était-elle émue au point d'en perdre ses mots ?

Vaeri fixait mon front, immobile. Je fus prête à lui demander ce qui se passait, quand je la sentis. Cette chaleur sur mon front, réchauffant ma tiare et ma peau. Je compris qu'une nouvelle gemme était en train d'apparaître, et cela ne trompa pas : un scintillement bleu éclaira le visage pâle de ma mentore, qui se recula.

- Un saphir, murmura-t-elle, interdite.

- La pierre de bonté, chuchotai-je, abasourdie.

Je ne pensais pas être récompensée pour ça. J'avais juste accompli ce que je pensais être juste. Muettes l'une comme l'autre, Vaeri et moi nous regardâmes quelques longues secondes et, ne sachant pas vraiment ce que cela signifiait, je vis la Meridiem hocher la tête, sans détourner ses yeux des miens.

Notre bulle éclata d'un coup, alors qu'un bruit plus fort que les autres se fit entendre. Il provenait de l'Aegis ; cela me fit relever la tête. J'aperçus alors des dizaines d'Ombres, fonçant dans la paroi en espérant pouvoir la fragiliser. D'autres l'assommaient de jets de flammes.

Ce n'était pas terminé.

Je pris alors conscience de la situation environnante, que ma blessure et la peur de perdre Halcyon avaient complètement occultée. Une grosse dizaine d'hommes étaient répartis le long des limites de la sphère, les yeux clos, les bras écartés ; de leur poitrine jaillissait par flux constants une magie violacée, qui alimentait le bouclier. En lignes, dans les airs, étaient positionnés plusieurs guerriers meridiems, qui guettaient les moindres faits et gestes des Ombres, prêts à agir au besoin. Des ordres criés d'une voix grave circulaient d'un groupe à l'autre, noyés dans les pleurs et les cris. D'autres soldats aidaient au secours des civils, qui s'entassaient çà et là, le visage défait. Certains avaient l'air gravement blessés.

Les coups portés à l'Aegis sonnaient comme un marteau frappant une enclume, puissants. Il fallait dire que les Ombres semblaient furieuses ; une rage certaine habitait leurs yeux globuleux.

- Viens, murmura Vaeri, en me saisissant délicatement par les épaules. Je t'emmène te reposer, en lieu sûr. Tu dois guérir.

Je voulus protester, mais à la douleur qui jaillit dans ma jambe quand je tentai de me remettre sur pied, je me retins. Elle avait raison. De toute façon, je ne leur serai plus d'une grande utilité... ce constat me fit serrer les poings, réaction qui n'échappa point à la jeune femme.

- Tu as déjà beaucoup fait, maintenant, laisse les autres se charger du reste. Ta pommade fera plus rapidement effet si tu te reposes.

- Combien mettrai-je de temps ? À guérir ?

Elle passa un bras sous mes épaules, qu'elle enroula autour de mon buste. Puis, elle m'aida à monter sur le dos de mon Amili, qui écarta les ailes pour m'en faciliter l'accès. Je pris soin de ne pas m'assoir sur l'une de ses lésions. Après s'être assurée que j'étais bien assise, elle se recula.

- Tu parles comme moi, à mes débuts. À peine étais-je sorti du champ de bataille que, qu'importe combien j'étais blessée, je voulais déjà y retourner. Mais laisse-moi t'enseigner une nouvelle leçon : un bon guerrier sait aussi quand il doit poser les armes.

Elle soupira et, alors que nous prîmes notre envol, ajouta :

- La pommade que l'on t'a donnée est de la bryoxis, l'essence d'une plante très rare réputée pour ses propriétés curatives extrêmement efficaces. Tu seras guérie en deux à trois jours, maximum.

Cette information me rassura. Je venais enfin de me montrer utile, il était hors de question que cette blessure soit utilisée comme excuse pour m'exclure des prochains combats.

- Où est-ce que tu m'emmènes ?

- Au quartier des officiers de la ville. Tu y seras en sécurité.

- Non.

J'arrêtai ma Lumière, qui s'immobilisa dans les airs.

- Je n'ai plus huit ans, je n'ai pas besoin d'être dorlotée. Vaeri, tu étais bien la seule à ne pas me considérer en sucre, alors s'il te plaît, ne commence pas. Tu descends fortement dans mon estime, ajoutai-je pour la faire réagir.

Elle rit, d'un rire sans joie.

- Votre Majesté. (C'était la première fois qu'elle m'appelait par mon titre, et cela m'ôta toute réplique.) Mon travail est de protéger la Lignée, à n'importe quel prix, j'en ai fait le serment. C'est la guerre dehors, et nous sommes coincés sous cette Aegis en espérant que ces mages qui la maintiennent debout ne s'évanouiront pas - et en considérant que les Ombres ne se chargent pas de la faire éclater d'abord. Vous n'êtes pas une enfant à mes yeux, mais l'avenir de ce royaume. Et ces gens dehors, qui viennent de tout perdre, ont besoin de savoir que l'avenir existera demain, quoiqu'il advienne.

- Je le sais bien, soupirai-je, la gorge nouée. Mais je t'en supplie, ne me laisse pas inactive. De toute façon, je ne parviendrai pas à dormir. Laisse-moi au moins écouter ce qu'il se passe, participer oralement. Laisse-moi aider. Tu as voulu faire de moi une guerrière, et bien aujourd'hui, j'en suis une. Et je ne compte pas quitter le champ de bataille maintenant.

Mes yeux fouillèrent les siens, cherchant la moindre parcelle de compassion à exploiter.

Elle soupira, marmonnant que je n'étais encore qu'un quart de guerrière, et que c'était bien prétentieux de me considérer ainsi si tôt. Pour autant, elle acquiesça.

- Bien. Tu aideras aux soins des victimes. Mais je t'interdis de te fatiguer, est-ce clair ?

Puis, elle tourna les talons, m'enjoignant de la suivre.

- Quelle ironie ! Une blessée qui soigne les blessés... Le Général Iandar va me tuer.

Elle me fit rejoindre un camp, organisé précipitamment afin d'accueillir les rescapés des villages alentour. C'était une véritable fourmilière, en pleine effervescence. Des femmes et des hommes s'activaient de tous les côtés, des paniers remplis de serviettes, de compresses, de couvertures, de bandages et d'onguents. L'odeur du sang était omniprésente, rêche sur la langue, métallique dans les narines. Les enfants pleuraient, les victimes gémissaient de douleur, et l'air était lourd, ce qui ne faisait qu'accentuer le caractère intenable de la situation.

Assise sur un matelas de paille, je reconnus la petite fille que j'avais sauvée. Je laissais à Halcyon le temps de se poser et, avec la force qui me restait, me propulsais dans les airs. Vaeri atterrit juste à temps pour me retenir de tomber, et m'aida à la rejoindre.

- Bonjour, toi, murmurai-je, du ton le plus doux dont j'étais capable.

Je n'osais imaginer le traumatisme qu'avait dû être cette traversée.

La petite releva la tête et, les yeux pleins de larmes, se précipita vers moi en enroulant ses bras frêles autour de ma taille.

- Je trouve pas ma maman, sanglota-t-elle.

C'était la première fois que je l'entendais parler. Bien qu'avec grande difficulté, je m'agenouillai devant elle en affichant un petit sourire.

- Je ne sais pas où elle est. Mais je vais rester avec toi, d'accord ?

Elle acquiesça, d'un mouvement du menton.

Vaeri me lâcha, et d'un ton solennel, m'annonça :

- Je pars rejoindre mes soldats. Je t'en enverrai un, pour parer à tout éventuel problème. Je reviendrai dans une heure, pour vérifier que tout va bien...

J'opinai, et avant qu'elle ne se détourne l'interrogeai :

- Peux-tu essayer de contacter Lenora et le Général Iandar, pour t'assurer qu'ils vont bien ?

- Je le ferai.

Elle s'inclina et, sans un mot de plus, s'envola. Je suivis sa silhouette, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'un point noir se déplaçant dans les airs.

- Tu es une princesse ? me demanda timidement la petite fille, son pouce dans sa bouche et les yeux encore mouillés de larmes.

Je souris.

- On peut dire ça. Toutes les filles sont un peu des princesses, non ?

Elle rougit et, muette, plongea sa chevelure blonde dans mon cou. Je la serrai fort et, à cet instant, me promis de garder un œil sur cette petite jusqu'à ce qu'elle soit assez grande pour le faire elle-même. Isira avait veillé sur moi, je le ferai pour cette enfant.

- Quel est ton petit nom ?

- Lylœ.

- Enchantée, Lylœ. Je m'appelle Seira.

Je calai sa tête sur mon épaule, caressant ses cheveux.

- Tu n'es plus seule maintenant.

⋅∙✶⦁☾⦁✶∙⋅

Quelques instants plus tôt...

Point de vue de Lenora

- Vite, vite ! Dépêchez-vous !

Je pressai la population, qui se massait autour de l'unique ouverture dans l'Aegis de Roseris. Celle-ci sera forcée de se refermer dans quelques minutes, et il restait tellement de monde ! Une file d'une bonne centaine de mètres s'étalait encore devant moi, et la perspective de pouvoir tous les faire rentrer à temps me semblait de plus en plus impossible. D'après les flammes envoyées par l'Invictus de Para'bell, les Ombres étaient maintenant entrées sur le territoire. Elles ne tarderont donc pas à en atteindre son centre et donc, à trouver Roseris.

Les enfants pleuraient, les hommes criaient, les femmes hurlaient. Tous se bousculaient pour espérer pénétrer, cherchant à tout prix la protection du bouclier. Une odeur de peur s'était emparée des rangs.

Si seulement nous pouvions agrandir le passage ! Mais l'enveloppe avait déjà été tellement fragilisée après la première attaque qu'il serait trop risqué d'en espérer plus. Les mages, répartis le long de sa paroi, peinaient déjà à l'alimenter suffisamment pour la préparer à l'assaut imminent.

Au milieu de tout ce chaos, je ne pus m'empêcher de me demander où pouvait bien être Aarin, en ce moment même. Il devait être débordé. Était-il en Para'bell ? Ou encore à Cæles, la dernière cité dans laquelle il m'avait dit aller ? J'espérai qu'il n'était pas blessé.

Un hurlement me tira violemment de mon instant d'inattention. Je relevai précipitamment la tête, cherchant dans la foule qui en pouvait être l'auteur. Je constatais bien vite qu'il ne provenait pas de là, car tout le monde avait l'air aussi interdit que je l'étais.

Le hurlement se répéta, mais cette fois, je pus en distinguer les paroles.

- Lenora, rentrez tous à l'intérieur, maintenant !

Je reconnus le timbre de la voix instantanément. Aarin. Mon cœur fit un bond.

Le Général arrivait sur ma gauche, entouré de quatre Faucons. Ses yeux étaient noyés par l'inquiétude, bien que les traits de son visage restaient indéchiffrables. Il me rejoignit en seulement quelques battements d'ailes, et m'empoigna par les épaules. Je fus tellement soulagée de le savoir sain et sauf, que je mis un temps avant d'entendre ce qu'il me répétait :

- Tu m'as entendu ? Le temps presse ! Les Ombres ne sont plus qu'à un petit kilomètre... Apparemment, elles auraient déjà atteint Aethra et Para'bell.

Cette dernière phrase fut le coup de poing qui eut le mérite de me sortir de ma torpeur. Tout d'un coup, mes yeux entamèrent de fouiller les airs, cherchant la menace. Je devrais être capable de la voir, aussi près qu'elle fût.

Ce fut le cas. Entre deux flancs de montagnes se mouvait un nuage noir, flou et difforme.

Je sentis le sang quitter mon visage, alors que l'adrénaline explosa dans mes veines. La foule dut l'avoir vu aussi, car la fièvre gagna instantanément les rangs.

- Que tout le monde garde son calme ! Il y a de la place pour tout le monde ! s'écria un Faucon.

Les Meridiems étaient de nature relativement calmes, dans ce genre de situations. Nous étions des guerriers, il en fallait plus pour véritablement nous effrayer... enfin, aurait fallu, il y a trente ans de cela. Aujourd'hui était différent. Trop de souvenirs sombres avaient été laissés par la guerre, et les Ombres en étaient, pour beaucoup, les auteurs.

Aarin, toujours ses mains sur mes épaules, plongea ses yeux dans les miens. Je m'attendis à ce qu'il me traite comme j'avais l'habitude de l'être : en enfant, en femme fragile. Je m'attendis à ce qu'il me somme de rentrer me réfugier à l'intérieur. J'étais préparée à ces mots, prête à répondre qu'il en était hors de question. Je ne ferai pas passer ma vie avant la sienne ou avant celle de quiconque ici, et j'étais bien assez entraînée pour faire face à ce qui nous attendait.

Mais à la place, et malgré toute l'angoisse que je décelai dans ses yeux, un léger rictus déforma ses lèvres :

- Tiens-toi prête à te battre.

Et après les voir ôtées de mes épaules, chargea ses deux mains d'un feu terrible et vengeur. Je ne pus m'empêcher de sourire à mon tour, et hurlai aux gardes présents à l'intérieur de l'Aegis de rappliquer ; nous aurons besoin de renforts. Bien sûr, nous avions bien conscience que si affrontement il y avait, nous n'aurions aucune chance ; pas si peu nombreux. En revanche, nous ferons gagner du temps aux derniers retardataires, et c'était le plus important.

Tout se passa très vite, trop vite. Il restait encore une vingtaine de personnes quand les Ombres arrivèrent. Pour les ralentir, nous les assommèrent de nos sphères enflammées et, par miracle, elles ne ripostèrent ni n'utilisèrent leur feu ; en revanche, elles repérèrent l'ouverture et foncèrent. Heureusement, la dernière personne franchit le passage à cet instant, et Aarin me poussa précipitamment pour que je l'y rejoigne. Je n'eus pas le temps de réagir. Une fureur brûlante me dévora la poitrine ; il était hors de question que je passe l'ouverture sans lui. Je renonçais à le tuer moi-même quand je le vis la franchir à son tour, avec un centième de différence. Le passage se referma juste derrière lui ; mais c'était trop tard. L'une des Ombres réussit à pénétrer, en un éclair noir qui fendit l'air. Mon sang ne fit qu'un tour.

La créature ne perdit pas de temps. Alors que tous les gardes lui sautaient dessus, elle mit le feu à tout ce qui se trouvait à sa portée ; aussi bien personnes, qu'habitations et fournitures. En un instant, nous nous retrouvâmes au milieu d'un champ de flammes... Et si elles n'étaient pas mortelles pour les Meridiems, elles pouvaient nous blesser gravement.

Je pris mon envol, et bombardai la créature de puissants projectiles enflammés. Notre feu était enchanté, et constituait l'essence même de notre pouvoir... Et, bien que le ciel soit couvert de gris, ses capacités étaient démultipliées en plein jour. Autrement dit, il se montrait redoutablement efficace : à peine atteignait-il les écailles de la bête que celle-ci poussait un grognement guttural, les sentant fondre.

Aarin me rejoignit, puis le reste des Faucons, et tous les villageois présents sur la place. L'Ombre tenta de se protéger par tous les moyens, plaçant ses ailes devant elle pour en faire des boucliers. C'était inutile, bien sûr. Cette fois, nous étions plus nombreux. Il ne nous fallut que cinq minutes supplémentaires avant d'en venir à bout, et qu'un Faucon n'ait qu'à lui planter une épée dans la poitrine pour l'achever.

Le dragon s'écroula lourdement sur le sol, faisant s'envoler les braises.

Un sentiment de victoire traversa la foule, mais cela ne dura pas longtemps. Ses semblables, derrière la paroi, se déchainèrent à la vue du corps de leur sœur, sans vie. Leurs grandes gueules s'ouvrirent largement, et un feu vengeur s'abattit sur la paroi, qui trembla sous la pression.

- C'est loin d'être fini, déclara Aarin, à côté de moi.

Il se détourna, puis s'écria, s'adressant à la masse humaine sous ses pieds :

- Que ceux capables d'aider restent, les autres, rejoignez le centre de la Capitale ! Vous y serez en sécurité.

Puis, son regard croisa le mien, et nous acquiesçâmes ensemble. De quoi, je ne savais pas vraiment. Mais je sentis mon cœur se remplir de courage, à en faire vibrer mes ailes.

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