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23 - Temps écoulé

— Je ne suis pas venue pour monter sur ce trône, annonçai-je, maintenant que j'avais la possibilité de parler.

Le peuple présent n'avait toujours pas émis un son, leur attention basculant entre moi, et leur Roi.

— Je suis venue pour demander de l'aide, pour trouver des secours. C'est la guerre, là-haut.

Cette fois, les murmures s'élevèrent dans un tonnerre lointain. Mon coeur redoubla de cadence, alors qu'un plan se dessinait dans ma tête. Certes, je n'étais pas venue ici pour chercher une armée, mais...

Je les fis taire en poursuivant d'un ton grave :

— Archaos, ou celui que vous appeliez Némélion, compte s'emparer de deux objets très dangereux afin d'invoquer les Légendes. Puis, il prendra le pouvoir, un royaume après l'autre.

Déjà, des centaines de questions fusaient : « Némélion ? Le prince ? » ; « Il est toujours en vie ? » ; « Archaos ? » ; « Deux objets ? Lesquels ? » ; « Les Légendes, c'est à dire ? » ... Je les ignorai, le temps pressant.

— Nous ne pouvons le laisser faire. Au nom de la liberté, il est de notre devoir de nous battre. Il est de notre responsabilité d'intervenir, et de tout faire pour l'empêcher. Mais voilà des années que nous nous battons - ce n'est pas la première guerre qu'il provoque. Nos armées sont fatiguées, nos peuples ont perdu espoir... Nous avons besoin de nouvelles troupes.

Un véritable torrent s'était épris de la foule, désormais. La Reine bondit de son siège, la colère rougeoyant son teint lunaire :

— Ne t'avise pas de nous donner des ordres ! Tu n'es ni reine, ni Aequoriale, ni personne. Tu n'es personne, et...

— C'est faux, la coupai-je, en tentant de moduler la colère dans ma voix. Si je suis bien une chose, c'est une Gardienne des Légendes. Et je ne laisserai pas ce conflit impuni.

Cela eut le mérite de la faire taire. Le souffle court, elle me fusillait du regard. Elle jeta un regard à la cantonade, et je sus à ses traits défaits qu'elle comprenait peu à peu que, même pour ses partisans, elle n'avait plus aucune autorité en cet instant. Ni elle ni le Roi.

Toute la foule avait suivi l'échange, et mon reflet dans leurs yeux semblait s'être modifié. L'espoir noya mes veines comme un liquide chaud et pétillant. La prochaine intervention calma mes ardeurs :

— « Nous » ? En quoi cela nous concerne-t-il ? railla un aristocrate, dissimulé dans la masse. Si la Surface désire se battre, grand bien lui fasse. Nous n'avons rien demandé, et les Aequoriales ne sont pas coupables de quoique ce soit.

Je m'attendais à cette remarque. Je réprimai un sourire méprisant, m'étonnant d'heure en heure de l'égoïsme de cette espèce.

— Contrairement à ce que l'on a pu vous faire croire, vous êtes impliqués. En fait, vous êtes même - en partie - auteurs de ces hostilités. Les Aequoriales sont autant responsables que les Meridiems du meurtre de la Meridiem et le chagrin de ce prince aequorial, qui ont commis l'erreur de tomber amoureux.

Un soupir outré traversa mon auditoire. Le souvenir de ce scandale semblait encore tout frais, dans les mémoires de ces êtres vivants des millénaires.

— Ma mère, la Reine Leia, n'a pas souhaité vous impliquer de prime abord, afin d'éviter que les quelques fidèles d'Ar... de Némélion ne se mêlent au conflit, et vous dénoncent de ce fait comme coupables. Mais aujourd'hui, c'est différent. Le conflit a pris une telle ampleur que tous les peuples sont impliqués : Elfes, Tamilariens, Nains, Meridiems... et à partir de cet instant, Aequoriales.

Je priai pour qu'aucun de ces fameux fidèles ne se trouvât ici, dans ce rassemblement. Il ne manquerait plus que ça... mais cela faisait quelques siècles maintenant, depuis l'affaire du Prince Maudit, et de son aimée. Avec un peu de chance, ils auraient depuis disparu.

— Et si nous n'avons pas envie de nous battre ? s'écria quelqu'un, une femme. Cette histoire est de l'histoire ancienne. Il est hors de question qu'un peuple entier ne se sacrifie pour un chagrin amoureux qui aurait mal tourné, et qui daterait de centaines d'années.

Plusieurs têtes opinèrent d'un même ensemble, et je pris mon courage à deux mains pour répondre :

— Ce n'est pas une invitation, c'est un devoir. Parce que vous vivez sous l'eau, vous pensez être épargnés ? Détrompez-vous. Lorsqu'Archaos utilisera les clefs, il ne s'arrêtera pas à la limite terrestre. Il s'empara de chaque centimètre de cette planète, jusqu'à tout détruire. Et vous y passerez aussi.

Je fis peser mes yeux dans le plus de regards possibles, transmettant comme je le pouvais le sentiment d'urgence qui m'habitait.

— Tout ceci est un mensonge, déclara le Roi, dans un rire fou. Cette jeune fille tente de vous dominer par la peur... n'oubliez pas, sous ses apparences trompeuses, elle n'est en rien comme nous. Et quand bien même cette guerre serait réelle : nous avons vécu cachés et protégés cent ans. Nous continuerons de le faire.

La colère s'empara de moi, comme une bouffée de chaleur, puissante et étouffante. La plante de mes doigts se mit à vibrer. La magie en moi s'échauffait, s'agitait.

— Le bouclier dont tu parles n'existe que grâce à ma mère. Or, à sa mort, elle m'a transmis sa magie. S'il continue d'exister aujourd'hui, c'est parce que je le veux bien. Ne me tentez pas.

L'intonation menaçante et cruelle qu'avait adoptée ma voix me fit frémir, mais la rancoeur prenait dorénavant trop de place. Je repensai à ces familles déchirées, ces orphelins, ces amis séparés. Je repensai à toutes les victimes qu'avait pu engendrer cette guerre. Je me remémorai le visage de mes amis, là-haut, attendant mon retour... Comment ces gens pouvaient-ils se montrer si individualistes ? Ne comprenaient-ils pas que, depuis des années, des gens là-haut se battaient pour leur liberté et leur survie à eux aussi ? N'était-il pas temps de leur rendre la pareille ?

Un froid glaça la cohue. Le Roi frémit, essayant tant bien que mal de garder la face.

— Mais bien sûr, soupira-t-il, la voix tremblante. Gardes, emparez-vous d'elle.

Mais personne ne réagit. Chacun des uniformes émeraude qui constituaient la garde royale resta immobile, à sa place. Le Roi aurait tout aussi bien pu ne rien dire. Un seul finit par s'avancer, avant de clamer sereinement sous son casque :

— Nous n'obéissons qu'à la Couronne.

Et je venais de m'imposer comme telle. C'était clair, maintenant. Et ce constat laissa un mélange d'amertume et de contentement sur ma langue... Ce garde, même s'il n'avait peut-être pas réalisé toute l'ampleur de ses paroles, venait subitement de balayer toutes les incertitudes liées à mon sang. Que je sois semi-meridiem ou non, il m'avait offert toute la légitime dont j'avais besoin pour diriger ce peuple, dans les heures qui allaient suivre.

Je ne perdis pas une seconde :

— Que l'on se saisisse du Roi et de la Reine, et qu'on les emmène dans les cachots. Au retour, libérez les actuels prisonniers.

Quelques chuchotements mécontents accueillirent ma première requête, mais personne n'esquissa un mouvement pour l'empêcher. J'observai un détachement de soldats se rendre dans le couloir par lequel j'étais sortie, avant de me tourner vers ma Lumière. Halcyon s'était calmé, bien que tout dans sa position - muscles tendus à l'extrême, oreilles attentives, ses grands yeux ambre à l'affut - indiquait qu'il était prêt à bondir au moindre mauvais signe. D'un mouvement de tête, je demandai à ce qu'on libère de ses chaines, et l'on obtempéra.

Soudainement, je pris conscience de ce que représentait le vrai pouvoir. C'était effrayant et... grisant, à la fois. Cette révélation me fit tressaillir.

— Merci. Maintenant, quelqu'un peut-il m'indiquer le Premier ministre, ou bien ce qui s'apparenterait au conseiller du roi ? Et que l'on avertisse le général : un maximum de troupes devra être prêt à mon retour.

⋅∙✶⦁☾⦁✶∙⋅

Le couloir était étroit, et sombre. Et, au vu de l'odeur, il n'avait pas dû être aéré depuis longtemps. L'eau était aussi particulièrement froide ; nous nous trouvions dans des profondeurs abyssales, au sein d'un sous-terrain secret - aujourd'hui, c'était davantage une ruine. Je m'effrayai à l'idée de voir l'une des nombreuses fissures au plafond se fendre définitivement.

Naïda se trouvait à mes côtés - j'avais envoyé Jel auprès du Général d'armée, afin qu'il veille à la bonne préparation des troupes. La jeune Aequoriale était pâle de sa nuit en prison, mais un feu nouveau brûlait dorénavant dans ses iris ; un brasier ardent et guerrier, prompt à tout incendier sur son passage. Toutes deux, nous suivions, d'une nage athlétique et déterminée, le Conseiller, qui ouvrait la marche devant nous. C'était certainement l'Aequorial le plus âgé qui m'ait été donné de voir, depuis mon arrivée à Oblivion. Les rides striaient sa peau flétrie et blanchâtre, et d'épais sourcils dissimulaient ses yeux gris. Une longue tresse d'une chevelure couleur de neige se balançait dans son dos, caressant ses mains qu'il avait ramenées derrière lui. Sa queue était d'un bleu tirant sur le violet. Et, aux fines déchirures sur ses nageoires, j'estimai ce vieil homme à quelques milliers d'années. Après tout, il m'avait annoncé lors de notre précédent échange qu'il avait servi le règne de mon grand-père, de son début à sa mort - et le Roi Térélyon avait dirigé Oblivion presque deux mille ans.

Il m'avait fallu quelques minutes pour lui expliquer la situation, et quelques autres encore pour le convaincre de me conduire au temple souterrain, là où se trouvaient - et se trouvent toujours - les trésors de la Famille Selenis, et ses Archives privées. Forcément, mon statut récent d'héritière légitime au trône n'avait pas été facile à avaler. Je pouvais le reconnaître... moi-même, la vitesse à laquelle s'enchaînaient les évènements me donnait le tournis, à m'en donner mal au crâne. Mais je n'avais pas le temps de me plaindre, pas maintenant.

Ce sous-terrain était construit comme un labyrinthe : fins dédales qui nous emmenaient tourner à gauche, puis à droite, avant de nous faire demi-tour. Définitivement, seul un véritable connaisseur des lieux pouvait s'y retrouver. Nous parcourûmes quelques centaines de mètres avant de parvenir au centre d'un croisement, une grande pièce circulaire. Celle-ci était le point d'arrivée de huit couloirs différents, chacun scellé par une double porte.

Le Conseiller n'hésita pas une seconde, et se dirigea sur la troisième porte à notre gauche. D'un ton las, il marmonna dans le silence sépulcral :

— Suivez-moi. Surtout, ne franchissez jamais les six autres... vous n'avez pas envie de savoir ce qu'elles renferment. Certaines vous coûteraient la vie.

Naïda me glissa un regard perplexe, et je fronçai les sourcils. Y avait-il seulement une pièce dans ce palais, qui ne soit pas mortelle ?

Le Conseiller se planta sur le seuil, la main en suspend. Puis, précautionneusement, il apposa sa paume contre la surface froide et turquoise du métal, finement recouverte de particules magiques semblables à un rideau de poussière. À l'approche de la main du Conseiller, celles-ci parurent s'écarter, ondulant comme un tissu de soie ; et, lorsqu'elle toucha enfin la porte, elles frémirent, pour finir par s'éteindre. Dans un grincement, les deux battants s'écartèrent, révélant un épais mur de fumée blanche, traversée de rayons de lumière bleue. Je fronçais les sourcils, déstabilisée par ce spectacle curieux.

— C'est... un portail ? s'enquit Naïda, formulant tout haut mes interrogations silencieuses.

Et pour illustrer ses paroles, elle en approcha sa main. À peine sa peau avait effleuré la fumée qu'elle poussa un cri et la retira aussitôt, l'expression d'une vive douleur au visage. C'était comme si elle s'était brûlée.

— Non, répliqua le Conseiller.

Puis, il se tourna vers moi, son regard dénué de toute expression.

— « Si l'œil vous avez, de vos yeux vous verrez. Mais si de sang vous trompez, c'est dans l'eau que vous disparaîtrez ».

— L'oeil ? Sang ? répétai-je, perdue. Attendez, qu'est-ce que cela veut dire ?

— Nous ne pouvons vous accompagner plus loin, me répondit-il, éludant ma question.

Et d'un geste lent de sa main, il me désigna l'ouverture. Le message était clair : il était temps pour moi d'y entrer. Mais son énigme m'avait arraché mon assurance. Que voulait-il dire par là ? De quel sang parlait-il ? Allais-je mourir, en me risquant à entrer dans ce temple ? Mes amis comptaient sur moi. Je ne pouvais prendre ce risque.

— Dites-moi d'abord ce que vous vouliez entendre par « si de sang vous trompez, c'est dans l'eau que vous disparaîtrez », insistai-je, le coeur battant.

— Elle ne peut pas se noyer, releva Naïda, dont la méfiance rendit son ton agressif. C'est une Aequoriale, comme vous et moi.

— Mais est-ce la bonne ? renchérit le Conseiller, l'air espiègle, avant de poursuivre, ses yeux dans les miens : si vous êtes bien ce que vous dites être, vous n'avez rien à craindre.

Je glissai un regard à ma jeune guide, qui hocha la tête. Cela suffit à me redonner le courage nécessaire, et j'inspirai profondément avant de m'élancer et travers du rideau de fumée, sans me donner le temps de réfléchir davantage. Je fermai les yeux et tous mes membres se tendirent, se préparant à la vive douleur qu'avait ressentie Naïda. Mais, alors que je sentis la vapeur m'engloutir, rien ne vint, à part la douce sensation d'une caresse humide.

Quand le contact se rompit, je me décidai à rouvrir les yeux.

Je me trouvais au milieu de nulle part, et plus rien ne laissait entendre que je venais de franchir une porte : il n'y avait plus de fumée, plus de battant, plus de mur... rien. J'avais simplement été transportée ailleurs. Cela entrait en totale contradiction avec ce que le Conseiller avait assuré à Naïda quelques minutes plus tôt... alors, était-ce une illusion ?

J'observai les alentours, pivotant sur moi-même pour tenter de déterminer où je pouvais bien avoir été emmenée. Quelques rochers pointaient ci et là, entourés de bosquets d'algues et recouverts de coraux ; des bancs de poissons nageaient en s'y faufilant. L'eau était plus lumineuse, ce qui indiquait que la surface ne se trouvait plus s'y loin, pourtant, sa température restait aussi froide que dans le sous-terrain. J'hésitai à nager pour monter, quand je jetai un coup d'oeil au sol. Je réalisai que je me trouvais juste au-dessus d'un large gouffre, sorte de puit naturel, d'au moins une dizaine de mètres de large. Le coeur battant, je compris que je devais descendre, si j'espérai pouvoir trouver ce que je cherchai.

— Bon, quand il faut y aller, il faut y aller, soupirai-je.

Je regrettai qu'Halcyon ne soit pas là avec moi pour me soutenir. Les profondeurs dans lesquelles je m'apprêtai à m'enfoncer étaient tout ce qu'il y a de plus sombre, et même avec ma vision nocturne, je redoutai ce qu'elles pouvaient bien cacher.

Je plongeai alors, les bras le long de corps, progressant lentement au cas où je rencontrerais le fond. En descendant, je rencontrai de forts courants d'eau froide, et quelques rubans de bulles remontant à la surface. Je frémis, de froid ou de peur, je ne saurais le dire. Mes yeux accrochèrent les parois de l'abîme, et constatèrent qu'elles avaient été creusées artificiellement. Ses flancs étaient droits, creusés de colonnes et de corniches, et autres moulures anciennes.

Les minutes s'écoulèrent, et je descendais toujours. L'angoisse montait, à mesure que je passai les paliers de pression, me demandant combien de temps encore je continuerai de m'enfoncer. Si cela continuait, j'allais finir par observer le noyau d'Amortis de mes propres yeux... Bien que l'océan s'inscrivait dans mes gènes, je n'étais pas familière avec cet environnement si vaste et si... différent de la surface. À la fois splendide, dangereux et mystérieux.

Puis, j'aperçus une lumière. Ragaillardie, je gagnai en vitesse. À mesure que je me rapprochais de la source, l'obscurité reculait. Bien vite, je découvris que cette lueur provenait d'un ruisseau de lave, circulant autour d'un cercle de pierre sur lequel reposait une large statue, que je peinais à observer de haut. À son pied, un large escalier descendait depuis la plateforme.

Je continuai ma descente, jusqu'à rencontrer une légère résistance. Je battis un peu plus fort de ma nageoire, poussant avec mes mains. Puis, je me sentis tomber dans le vide, comme si ce sur quoi j'avais appuyé s'était percé, comme une bulle. Tétanisée, je poussai un cri dans ma chute, tentant de rappeler mes ailes par n'importe quel moyen. Mince, comment pourrai-je me retransformer en Meridiem ? Ce n'est qu'en volant que je ne finirai pas écrasée contre cette pi...

À seulement deux mètres du sol, je ralentis dans ma chute, portée par une force inconnue. Puis, ma queue disparut pour dévoiler mes deux jambes, et mes pieds rencontrèrent le sol avec douceur. Abasourdie, je tournai la tête pour observer derrière mon épaule, m'attendant à retrouver mes ailes. Mais non. Ma nageoire caudale avait certes disparu, mais il demeurait quelques écailles sur mes bras, mes cuisses et mes nageoires temporales. Ma peau avait conservé son aspect légèrement opalescent, et perles et tresses coiffaient toujours ma longue chevelure. Mes mains restaient palmées.

J'étais toujours une Aequoriale, mais sous une forme humaine.

Reprenant mon souffle, je mis un temps avant d'inspecter l'endroit de plus près. Je fis volte-face, me tournant vers la statue. Mon coeur fit un bond en réalisant ce qu'elle représentait : un Meridiem et un Aequorial s'enlaçaient, en un geste de paix. Je reculai d'un pas en arrière, une main sur ma poitrine. Que cela signifiait-il ? Je pensai que depuis toujours, ces deux peuples se détestaient... mais si cela avait été le cas, pourquoi représenter leur harmonie ? Était-ce la simple représentation d'un vœu, d'un rêve, ou bien avions-nous été frères autrefois ? Malgré moi, je me mis à espérer que cela avait été le cas. Si la situation avait été différente, tout serait tellement plus simple aujourd'hui... La tristesse me tordit le ventre, et je choisis de me détourner. Je n'avais pas le temps de me laisser attendrir. Il ne me restait plus que vingt-quatre heures avant que le pari d'Archaos ne prenne fin.

Je descendis les escaliers, pressée de découvrir où il menait. Les marches étaient larges de plusieurs mètres et éclairées par la lueur qui émanait de la lave, coulant en fines fontaines de chaque côté du mur. Je pris bien soin de marcher au milieu. Sous ma forme aequoriale, je pourrai en mourir. D'ailleurs, la chaleur qui s'en dégageait suffisait à me donner l'impression que je desséchais sur place. Je compris alors que cet endroit était une énième mesure de sécurité : après son bouclier, sa situation sous-marine et maintenant ces torrents de lave, l'acquisition de la clé constituait un véritable périple.

Je comptai une trentaine de marches, puis je pénétrai dans une sorte de tour construite dans la roche. Le bâtiment s'élevait sur plusieurs étages, ses anneaux soutenus par une ronde de dix colonnes en marbre. La lumière ici était aussi lumineuse que si je me trouvais en plein jour, et son contact était chaud, doux... solaire. Ma vue mit un instant avant de s'adapter à sa puissance, puis je relevais les yeux, jusqu'à son origine.

C'était la clé. Elle flottait à plusieurs mètres de hauteur, et de sa silhouette sphérique irradiait de mille feux, comme un soleil bravant la nuit. Là encore, je reconnus le cristal qui la composait, elle et sa jumelle : le Valentia. Je restai un instant hypnotisée par sa splendeur, sa puissance ; à tel point que je me rendis compte plus tard qu'elle était entourée de plusieurs cercles magiques, qui la scellaient de runes. Leurs tracés étaient faits de flammes. C'était de la magie meridiem.

Je n'avais pas le choix. Si je voulais m'en saisir, il allait falloir que je retrouve ma forme meridiem.

— Concentre-toi, dis-je à voix haute, pour me donner du courage.

Fermant les yeux, j'allais puiser dans le feu que je sentais brûler en moi, que même ma forme aequoriale ne parvenait à faire disparaître. Sa chaleur, ses flammes, sa lueur faisaient partie de ce que j'étais. Je n'avais qu'à les appeler, non ? Je patientai quelques longues secondes, répétant encore et encore mon souhait. Mais je compris vite que cela ne marchait pas. « Réfléchis », me sermonnai-je. Que m'avait-on toujours appris, en rapport avec la magie, et son utilisation ? Le souvenir d'Isira, puis de Kalyra, me revint en mémoire. Toutes deux m'avaient parlé de l'importance du ressenti, des émotions, de la foi. La tête ne suffisait pas.

Je fis abstraction de mon environnement, du temps pressant, du contact de mes pieds avec le sol. Je me concentrai uniquement sur l'impression de mes ailes dans mon dos, leur poids, le frottement de l'air contre mes plumes, et le contact de celles-ci dans mon dos, et à l'arrière de mes jambes... Ma mémoire fit revivre sur ma peau la sensation du vent, des nuages, des rayons du soleil, si bien que je me sentis décoller.

C'était le cas. Mes ailes battaient à nouveau dans mon dos, d'un mouvement puissant et régulier. Je retins un cri de joie. Elles m'avaient manqué. D'un regard, je constatai que les palmes entre mes doigts s'en étaient allées, de même que mes nageoires, et mes écailles. J'avais bel et bien retrouvé ma nature de fille du Soleil.

Sans attendre, je pris impulsion et déployai largement mes rémiges, avant de m'envoler plus haut encore. Il me fallut trois battements avant d'approcher la clé de suffisamment près, sans heurter le bouclier. Je restai à bonne distance une longue minute, le cœur battant à toute allure, tandis que mon esprit se retournait dans tous les sens pour trouver un moyen de franchir la protection.

Prudemment, je finis par approcher une main. Il ne pouvait pas m'arriver grande chose, si ce n'était qu'une simple brûlure, n'est-ce pas ? Mais je n'eus pas l'occasion de le toucher. Alors que mes doigts s'étaient trouvés à seulement quelques centimètres des flammes, ces dernières s'étaient multipliées pour apparaître sous forme de symboles, juste devant mes yeux. Je reconnus leur langue. C'était la même que celle qui m'avait désigné les gemmes des Légendes, le jour de ma Nomination. Et cette fois encore, j'étais capable de la lire, et de la comprendre. L'espoir jaillit dans ma poitrine comme une tornade chaude et lumineuse. Je déchiffrai un à un chacun des mots.

« Si à mon énergie la tienne est semblable, si sœurs nos signatures sont, si du même rêve nous rêvons... tends le bras et saisis-moi. »

Je restai interdite, mes yeux passant et repassant sur cette énigme — la deuxième que je rencontrai en moins d'une heure. Le rêve désignait certainement la paix, l'union entre Meridiems et Aequorials. La statue l'avait plus ou moins laissé entendre. Mais qu'entendait-on par l'énergie ? Le Soleil, peut-être ? Et la signature, était-ce un moyen de parler de la magie ? Ivar, le mage qui m'avait servi de professeur à Roseris, avait plusieurs fois désigné le pouvoir de chacun de cette manière. Le doute me serra les entrailles. Il était biologiquement impossible que nos signatures soient les mêmes, notre magie était propre à chacun. Sauf... sauf si l'on pensait à celle du noyau, qui était la source même de nos pouvoirs, et donc la première magie qui existe. Se pourrait-il qu'en tant que Gardienne des Légendes, ma signature soit assez proche de celle des Légendes, et donc du noyau, pour être recevable ?

Mon ventre m'était douloureux, l'angoisse semblait me tirailler les entrailles. Pourtant, je gardai mon sang froid. Que se passerait-il si je ne répondais pas aux critères de cette charade ? En mourrai-je ? Cette dernière ne l'indiquait pas.

Le souvenir d'yeux couleur océan me froudraya l'esprit. Non, je n'avais plus le temps d'hésiter. Si le mur m'avait laissée entrer, j'avais ma place ici. N'est-ce pas ?

Inspirant profondément, une main sur mon ventre, je me concentrai. J'allai puiser dans cette magie que je sentais dormir en moi, depuis trop longtemps maintenant. Une puissance chaude vint me réchauffer le ventre, la poitrine, ma tête. Je me sentis gagnée d'une énergie nouvelle ; un toucher étrange chatouillait la pulpe de mes doigts, et le centre de ma paume. Pendant une courte seconde, je crus réellement qu'un ruban de lumière allait s'en échapper. Mais rien ne vint. Pourtant, mon front irradiait de chaleur, mes ailes battaient à peine ; ma marque me transportait dans les airs, littéralement. Tout mon corps flottait par la simple force de son pouvoir. Cela suffirait-il ?

Un scintillement bref éclaira d'un seul coup l'espace. Je relevai vivement la tête. Les cercles de feu tournaient à toute vitesse sur eux-mêmes, basculant les uns sur les autres, se confondant, se fondant entre eux. Au final, ils ne firent qu'un. Un unique large cercle de feu entourait la clé, maintenant ; j'observai la lune et le soleil entrelacés sur ses bordures, émerveillée. Cette magie... cette vie qu'elle dégageait... j'étais sure de la reconnaître. Je la sentais envahir mes tripes, une perception aussi tangible que le contact d'une main se glissant dans la mienne.

Je n'eus pas le temps de m'interroger davantage. Les flammes gagnèrent en pouvoir, grandissant à vue d'œil. Je reculai, la chaleur devenant étouffante, même pour moi. Mes yeux ne quittaient plus leur silhouette affolée, et je la vis grandir et grandir encore, jusqu'à disparaître d'un seul souffle à l'intérieur de la clé. En une seconde, la lumière disparut, plongeant le temple dans le noir. Seul l'artefact scintillait encore, d'une lueur faible et timide, comme si les flammes étaient tellement puissantes qu'elles peinaient à s'y fondre complètement. La clé irradia encore un instant, avant de s'éteindre. C'est l'instant que j'attendis avant d'oser l'entourer de mes paumes, et retins un gémissement en constatant à quel point le cristal était chaud. Je me mordis violemment les lèvres, faisant rouler l'objet sur ma peau pour tenter d'atténuer la douleur, de le faire refroidir. Il laissa sur son passage de larges traces rouges, mais je m'en fichai.

Je l'avais.

Je l'avais, enfin.

Pendant ce qui me sembla durer dix minutes, je restai béate et les larmes aux yeux, à observer la relique légendaire entre mes mains. Mon cœur battait si fort dans ma poitrine que je l'aurai cru sur le point de se décrocher. Un cri victorieux restait bloqué au travers de ma gorge, et mes lèvres tremblaient. Je n'avais aucune idée par quel moyen je battais encore des ailes. Je m'interrogeai : où la cacher, dorénavant ? Je pestai en réalisant que je n'avais rien d'autre sur moi qu'un poignard. Pas de sacoche.

Tout à coup, la clé fut enveloppée d'un voile satiné et lumineux, qui rayonna avant de se dématérialiser, et de disparaître dans ma tiare, comme le faisait mon arc. Décontenancée, la peur m'habita un instant, le temps que je réalise ce qui venait de se passer. Puis, ma tête parut reprendre le contrôle, et je me laissai guider, sans trop réaliser ce que moi-même j'accomplissais. Je finis par redescendre, sans pourtant cesser de trembler. Le temple s'écroulait à mon passage, tandis que je volais à toute allure jusqu'à la sortie, évitant les débris chutant parfois de haut. Mes ailes décrivaient des mouvements en hélices, basculant tantôt à droite puis à gauche, avant d'accomplir un tonneau qui me faisait voir, pour un court instant, le monde à l'envers. La mémoire de mes cours à apprendre ces techniques de vol ressurgit dans mon esprit. Le visage de ma mentore me pressa davantage. Il était temps pour moi de remonter à la surface.

Je ne garderai aucun souvenir du trajet retour, à par le spectacle à la fois terrifiant et irréel du paysage se détruisant autour de moi, comme un tableau de fond tombant en lambeau. Qu'importe le sort, protégeant cet endroit, qu'importe la dimension qui avait été créée pour abriter la relique... la mission qui leur avait été incombe avait été accomplie, et leur magie s'était alors évaporée, sous mes yeux.

Face au mur de fumée seulement, je repris contenance. Ma queue, qui m'était réapparue sitôt que j'avais retrouvé le contact de l'eau, battit d'un mouvement sec et je m'enfonçai dans la nuée bleue et étincelante. À nouveau, sa caresse chaude et vaporeuse m'enveloppa toute entière, et je comptai une dizaine de secondes avant que son contact ne se volatilise.

Je fus accueillie par le chaos.

Deux bras m'agrippèrent les épaules, et je fus noyée dans un surplus de lumière, de sons, de touchers. L'angoisse que j'avais réussi à repousser remonta en flèche, et je tentai de m'extraire de la confusion. Lorsque le calme revint, je distinguai le visage de Naïda, et Jel, juste derrière elle. Une dizaine de gardes les entourait, armés lourdement. J'eus un mouvement de recul, méfiante, alors que mes réflexes guerriers prirent le dessus. Malheureusement, les mains de Naïda me retenaient d'une prise puissante. La jeune fille semblait me dire quelque chose, et je me concentrai sur sa bouche pour tenter d'en décrypter les mots.

— ... disparue toute la nuit ! Nous avons cru que vous étiez morte, que...

Je me figeai d'un coup, foudroyée sur place. Les grands grands comme deux soucoupes, je fis taire ma guide.

— Qu'est-ce que tu as dit ? J'ai disparu toute la nuit ? Quelle heure est-il ?

Naïda hocha vivement la tête, alors que le soulagement commençait à se lire sur ses traits.

— Six heures du matin. Nous avons étions sur le point de franchir le voile pour venir vous chercher, mais...

— Mais je leur ai interdit, marmonna le Conseiller, qui s'était dissimulé derrière la garde. Seul le sang qui a créé ce sort peut le voir, et le franchir. « Si l'œil vous avez, de vos yeux vous verrez. Mais si de sang vous trompez, c'est dans l'eau que vous disparaîtrez », répéta-t-il.

— Vous l'avez trouvée ? s'enquit alors la jeune aequoriale.

Je ne les écoutai plus que d'une oreille. J'étais restée une nuit entière au temple ? J'aurai pourtant juré y avoir passé une heure, voire deux, tout au plus ! C'était impossible ! Ma gorge se serra avec violence, et respirer devint difficile. Je compris que la panique était en train de me dominer toute entière ; je sentais son poing m'écraser les épaules, avec une telle hargne que je devais lutter pour ne pas l'écrouler.

— Oui, oui... répondis-je distraitement.

Je fis rapidement le calcul dans ma tête. Considérant que le pari se terminait à minuit, il me restait dix-huit heures.

— Naïda, dis-je, luttant contre les tremblements dans ma voix. Je dois regagner la surface, maintenant.

Ses prunelles se figèrent dans les miens, comme deux morceaux d'aquamarine. Elle opina de la tête. Ma guide me prit ensuite le bras, avant de me mener dans les interminables et tortueux couloirs de ces souterrains.

⋅∙✶⦁☾⦁✶∙⋅

— Soyez prêts pour minuit. Vous n'aurez qu'à attendre mon signal, caché au large de Danamore. Dans l'obscurité, peu seront capables de vous voir. Ainsi, si les choses tournent mal - ce qui arrivera, j'en suis certaine — vous serez prêts à intervenir.

Je m'adressai à une dizaine de soldats, dont Jel, et le Général d'Armée aequorial. Ce dernier n'avait rien à voir avec Aarin. C'était un homme d'âge mûr, et visiblement incapable du moindre sourire. Ses yeux métalliques me détaillaient avec froideur, alors que j'exposai pour la dernière fois la stratégie dont nous discutions depuis une heure. Et, même s'il avait rechigné à entendre mes ordres — d'autant plus en apprenant que nous nous rendions en territoire ennemi —, il m'avait juré fidélité. Et je n'avais d'autre choix pour le moment que de le croire.

Le Général acquiesça, sans se défaire de son expression insondable, et j'opinai en retour. Mes yeux glissèrent sur Jel, que j'avais nommé Général de corps d'armée. Ce dernier était dès lors mes yeux, et mes oreilles. Il avait l'ordre de surveiller les moindres faits et gestes des soldats aequorials, afin de s'assurer qu'ils s'en tiendraient correctement au plan.

La confiance était quelque chose sur laquelle nous devions travailler, certes, mais je n'avais été reconnue Héritière légitime qu'il y a quelques heures à peine.

Je fis volte-face vers Talori, qui m'attendait au pied du portail — ou plutôt, de ses ruines. Mais l'important était qu'il fonctionnait encore.

— Tu réapparaîtras au même endroit que celui par lequel tu es partie.

Je lui adressais un sourire, résistant à l'envie de la prendre dans mes bras. Halcyon poussa un petit chant, que j'interprétai comme étant l'équivalent d'un ronronnement.

— Merci. Merci pour tout, ajoutai-je, en me tournant vers sa fille, postée à côté d'elle.

Naïda m'adressa un faible rictus en retour, avant de s'incliner légèrement :

— Ce fut un honneur, votre Majesté.

Je la redressai précipitamment. Il était hors de question que celle qui m'avait tant aidée, au péril de sa vie, ne se soumette à la révérence.

— Non, pas toi. Relève-toi, chuchotai-je.

Ses yeux me détaillèrent avec confusion, avant qu'elle ne hoche timidement la tête. Ce fut bien la première fois où je vis Naïda impressionnée. Halcyon la remercia à sa manière, en la bousculant légèrement lorsqu'il vint me rejoindre.

Enfin, je me plaçai au centre du vieux cercle gravé dans la pierre. Et lorsque la lumière m'éblouit jusqu'à ce que les couleurs se confondirent, j'eus juste le temps de penser : « je reviendrai. » Oblivion m'avait émerveillée, à sa manière. C'était les Terres de ma mère. J'avais l'impression de pouvoir la voir à travers elles.

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