27 - Deux reines, deux couronnes
Song: Immediate Music - Surrender To Hope
1 mois plus tard...
Point de vue de Lenora
Les rayons du soleil, encore timides, vinrent lécher sa peau. L'aube était là ; ce n'était plus qu'une question de secondes avant qu'Aarin n'ouvre un œil et ne redevienne le Général meridiem. Ici, dans ce lit, il n'était qu'Aarin. Le jeune homme dont j'étais tombée folle amoureuse, en l'espace de seulement quelques mois.
Cela faisait déjà plusieurs longues minutes que je l'observais, allongée à côté de lui. Son bras reposait sur ma taille nue, me ramenant contre lui. Était-ce stupide d'avoir l'impression que ma température corporelle s'était alignée avec la sienne ? Dieux, je devenais niaise. Je n'arrivais même plus à m'arrêter de sourire, parfois. Hier, le souvenir de notre dernière nuit m'était revenu en plein conseil de guerre et je m'étais mise à sourire comme une idiote. Quand mon père m'avait demandé ce qui me faisait sourire, je n'ai pas manqué le rire étouffé d'Aarin à l'autre bout de la table.
Ma main vint se perdre dans ses cheveux bruns, et écarta les quelques mèches qui me dissimulaient ses yeux. Mon pouce marqua le contour de son visage, en passant par ses lèvres, ses tempes, sa mâchoire... parfois, la peur qu'il ne soit qu'un rêve me reprenait, en pleine nuit, en pleine journée, et je ressentais le besoin urgent de le retrouver, de le toucher.
Mon contact l'avait réveillé ; je le sus au sourire qui releva le coin de sa lèvre. Il ne prit pas la peine d'ouvrir les yeux pour autant. Cette réaction était aux antipodes de notre premier vrai contact physique, dans cette salle d'armes, en pleine nuit. Une confiance sans faille s'était installée entre nous depuis.
- Len, lâcha-t-il, sa voix douce à moitié étouffée par les draps. Je suis là je ne vais pas disparaître.
J'aurais dû me douter qu'il savait. Il sait, toujours. Même quand je me voile la face, quand je préfère ne pas penser, ne pas ressentir.
- C'est juste que... je me sens tellement chanceuse, dis-je, détournant mon regard. Je ne suis pas sûre de mériter... tout ça.
Ma gorge se serra. Quand j'osai enfin me reporter sur son visage, ses yeux étaient grands ouverts. Il se redressa sur son coude ; ses avant-bras et les muscles de son torse se tendirent. Sa main quitta ma taille, et mon cœur rata un battement avant qu'elle ne vint se poser sur ma joue.
- Lenora, écoute-moi bien. L'amour ne se mérite pas. Il ne s'achète pas non plus. C'est un cadeau. Rien de ce que tu as pu ou aurais pu faire - ou ne pas faire - n'aurait pu t'enlever ce que tes parents, ou Seira, ou Elyon ressentent pour toi. Ce que je ressens pour toi.
Son pouce vient s'égarer sur mes lèvres. Elles s'entrouvrent, comme par réflexe. Il capte leur mouvement, et son regard s'assombrit. Je déglutis.
- Et par-dessus tout... Je veux que tu cesses de douter de la force de mon amour pour toi. J'ai su très tôt que je voulais te suivre au bout du monde - j'en suis absolument sûr aujourd'hui. Je continuerai d'être à tes côtés demain. Même quand tu ne voudras plus de moi.
Mon souffle se bloque. Mon cœur bat si fort que je crains qu'il ne le sente vibrer contre ma joue. Je ferme les yeux, laissant ma joue retomber contre sa paume.
- Aucun risque, soufflai-je tout bas.
Et comme si ce contact ne se suffisait pas, je franchis la distance qui nous séparait pour enrouler mes bras autour de son cou, et y nichai mon visage, dissimulant ainsi mes yeux brillants. Ses bras, en réponse, enserrèrent mon dos, me collant davantage contre lui. Mes seins se pressèrent contre son torse. Un frisson remonta le long de mon échine. La moindre parcelle de ma peau fut d'un coup traversée d'une énergie nouvelle. Je ne savais pas s'il connaissait l'effet qu'il avait sur moi.
- Où étais-tu... murmurai-je, mes lèvres contre sa nuque.
- Je t'attendais.
Nous restâmes quelques longues minutes ainsi, greffés l'un à l'autre, comme si nos deux corps ne faisaient qu'un. Le monde n'existait plus : ni mon couronnement dans quelques heures, ni ses préparatifs, ni mes derniers essayages, ni ses dernières réunions... Ne restait que le mouvement régulier de son cœur contre le mien. La chaleur de nos deux corps. Le feu reprenant dans mon bas-ventre. Sa main contre le dos de ma tête. La douce caresse de ses cheveux contre mes épaules. Comment une seule personne pouvait-elle nous combler autant ?
- Quand as-tu su... chuchotai-je.
- Que je te suivrai au bout du monde ?
Il lâcha un petit rire, et cette réaction si pleine de vie vint vibrer contre ma poitrine.
- Il y a cinq ans, la première fois où tu es venue t'entrainer avec nous au camp. J'avais quinze ans, tu en avais quatorze, et tu m'as terrifié. Et pourtant, Dieu sait comme tu ne savais pas bien te battre, au début. (Il étouffa un rire. Je souris.) Mais ton regard trahissait la force qui t'habitait, déjà à cet âge. Tu avais beau mordre la poussière, te faire battre par Elyon, par Iros, par moi... à chaque fois, tu te relevais, toujours plus déterminée. Elyon disait que cette fierté te jouerait des tours. Il se trompait : c'était de la volonté. J'ai toujours su que c'était ta plus grande force. Que si, un jour, quelque chose devait arriver à Danamore, tu te battrais jusqu'au bout. Tu étais la reine que je voulais suivre.
Je me reculai, et plantai mes yeux dans les siens. Le soleil illuminait sa silhouette d'un halo doré .
- Je n'ai pas tout de suite compris que j'étais amoureux. Ça, je l'ai su bien plus tard.
Mon cœur rata un battement. J'étais suspendue à ses lèvres. J'avais l'impression de découvrir tout un pan de ma vie que je ne soupçonnais pas. Il ne détourna pas le regard, mais poursuivit, ses yeux dans les miens :
- Il y a sept mois, mes troupes devaient intervenir dans un petit village sur les côtes de Tamilaris, qui avait été attaqué par des Ombres. Quand nous nous sommes posés, toute la population était réunie sur la place. On ne comprenait pas trop ce qu'il se passait. Il y avait un vacarme pas possible. Pourtant, quelqu'un a crié mon nom ; j'ai immédiatement reconnu la voix. Et tu as émergé de la foule.
Ses paroles redonnaient vie à des images que je croyais avoir oubliées. Mais en réalité, je me souvenais de tout.
- Tu étais en guenilles, recouverte de terre, de sang et de cendres... et pourtant je ne t'ai jamais trouvé aussi belle, parce que je t'avais retrouvée. Le soulagement que j'ai ressenti ce jour-là ne ressemblait à aucun autre. Et j'ai mesuré à quel point j'avais eu peur de ne jamais te revoir. En te voyant, j'ai presque failli t'appeler par ton prénom, et te prendre dans mes bras. Je n'ai jamais autant maudit ce foutu protocole.
Il s'interrompit une seconde. Les images de ce passé proche dansaient dans ses prunelles.
- Cela faisait cinq mois depuis que tu étais partie, en secret, rejoindre Elyon avec une petite troupe. J'ai mesuré que, si je n'étais pas parti te chercher moi-même, c'est bien parce que tu étais avec lui - bien plus que moi, il saurait te protéger. Et puis, j'ai vu dans ce village qu'il n'était plus là, avec vous. Ça m'a mis dans une colère que j'ai eu du mal à refouler - contre lui, parce que je ne serais jamais parti en te laissant seule. Contre moi, parce que j'aurais dû venir, j'aurais dû me porter volontaire. Même si à l'époque, tu ne me voyais pas.
- Je te vois maintenant.
Il sourit.
- Je sais.
- Je t'aime.
Je réalisai en le prononçant que je ne le lui avais jamais dit. Son visage se figea, avant de se barrer d'un grand sourire. Tout mon corps prit feu. Ses lèvres bondirent sur les miennes, et j'accueillais son baiser comme un nouveau souffle.
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Point de vue d'Aarin
La lumière de cet après-midi ensoleillé traversait les grandes fenêtres qui se dressaient le long des murs de la salle du trône. Ouvertes sur le paysage océanique, caractéristique du littoral meridiem, elles laissaient passer cet air iodé qui apportait fraîcheur à cette pièce bondée.
Autant de monde le réjouissait et l'angoissait à la fois ; le réjouissait, parce qu'il n'y avait pas eu de fête d'une telle envergure à Danamore depuis un siècle. Et cela l'angoissait, parce que la guerre s'était achevée depuis un mois seulement. Les tensions entre les différents pays d'Amaurëa n'avaient pas disparu d'un claquement de doigts avec l'annonce de la paix. Tamilaris l'inquiétait particulièrement : il avait été condamné pour ses crimes de guerre pour plusieurs décennies. Même si les Invictus avaient pris garde à l'immobiliser militairement, qui savait quels risques le Roi Torel serait prêt à prendre pour se venger ? Il suffirait d'un homme pour empoisonner tout le banquet, ou pour tirer une flèche en visant l'estrade.
Il inspira profondément, serrant un peu plus fort le pommeau de son épée à sa ceinture. Cette paranoïa ne lui ressemblait pas, et elle était d'autant plus stupide qu'il avait lui-même veillé à sécuriser les lieux - Elyon s'en était d'ailleurs assuré. Le regard qu'il lui avait jeté alors qu'il travaillait sur les différents scénarios d'évacuation voulait tout dire. Un seul écart, et tu auras affaire à moi. L'Invictus était d'un an son ainé, et même s'il avait eu maintes fois l'occasion de voir à travers sa cuirasse d'impassibilité, il le craignait, il devait bien se l'avouer. Et il savait pertinemment que, même s'il méritait pleinement sa fonction de Général, s'il l'avait eu aussi jeune, c'était bien parce qu'Elyon l'avait refusée.
Il ne pouvait pas blâmer ce dernier pour son l'inquiétude ; lui-même redoutait le moindre incident lors du couronnement. Et l'enjeu était d'autant plus grand que les grands acteurs de ce théâtre de pouvoir n'étaient non pas une reine, mais deux. Deux femmes dont ils étaient amoureux, en plus de ça.
Il était sûr que son amour pour Lenora était la raison pour laquelle Elyon n'avait pas regardé au-dessus de son épaule toute la semaine. Il lui faisait confiance, parce qu'il savait qu'Aarin tenait autant que lui à ce que tout le monde ce soir rentre chez soi sain et sauf.
Posté sur l'un des quatre balcons qui bordaient la salle, son regard alternait entre la foule et l'estrade, qui accueillerait bientôt Seira et Lenora. De temps à autre, ses yeux glissaient sur ses hommes, pour s'assurer qu'il n'y avait toujours aucun danger de leur côté. Douze faucons étaient postés aux fenêtres et aux sorties, tout de noir cuirassés et lourdement armés. Un hochement de tête : R.A.S, rien à signaler. Un mouvement de tête dans la direction d'un danger éventuel, les deux mains sur le pommeau de leur épée : Suspect en visuel. Trois bataillons de vingt hommes se tenaient également prêts, en cas de besoin.
Et encore, trois Invictus seraient là ce soir, sans compter Armos et Elyon. Leurs soldats resteraient invisibles, tandis que le bras droit et son chef assisteraient à la cérémonie - non sans dissimuler sous leur armure d'apparat quelques poignards, Aarin en était certain. Cette aide serait la bienvenue ; aujourd'hui, aucun bouclier n'était de trop.
Les chaises se remplissaient rapidement, de droite à gauche, des places les plus prestigieuses - proches de la famille royale - à celles données au petit peuple, qui serait témoin de l'événement. Le tumulte couvrait le son des instruments, que les musiciens s'appliquaient à accorder.
- Iandar.
Aarin fit volte-face. Elyon soulevait le rideau de son balcon pour y entrer, ses grandes ailes noires se dressant dans toute la largeur du passage. Il se positionna à ses côtés, les bras croisés sur le plastron de son armure dorée, son regard parcourant le flot des invités.
- Kaerio, répondit solennellement Aarin.
Il était assez perplexe quant à la relation qu'ils entretenaient tous les deux. Il se doutait bien que s'il ne s'était jamais dressé contre aucune de ses décisions, c'était qu'Elyon devait le respecter, à l'inverse d'Iros. Mais l'apprécier ? Il l'avait personnellement toujours considéré comme un frère d'armes, voire comme un grand frère. Ils s'étaient entrainés ensemble, plus jeunes. Mais Elyon étant devenu plus tard Invictus, leurs chemins s'étaient séparés... Il regrettait qu'il n'ait jamais noué plus de liens.
- Quelques Aequoriales seront là, ce soir. Simple geste diplomatique, pour faire part de leurs amitiés.
Aarin acquiesça.
- Je garderai un œil sur eux, lui assura-t-il.
- Ce sont des connaissances de Seira. Elle m'a assuré que nous n'avions rien à craindre d'eux. Je la crois. Ce sont des nôtres dont je m'inquiète. Certains ont encore l'esprit arriéré, surtout dans nos campagnes.
- Compris. Tout se passera bien, lui promit-il, aussi bien pour lui-même.
Elyon soupira, et il ne put s'empêcher à cet instant de remarquer sous ses yeux de discrets cernes violets, malgré son teint mat. Lenora lui avait pourtant raconté qu'il dormait mieux.
L'Invictus ne répliqua pas, concentré sur la masse de robes et de costumes à leurs pieds.
- Je vais redescendre, la cérémonie ne va pas tarder à commencer.
Aarin hocha la tête, et avant que son frère d'armes ne traversât le rideau, il lui jeta :
- N'oublie pas de sourire, Kaerio. La guerre est finie.
L'Invictus marqua un arrêt, et Aarin ne manqua pas le sourire naissant à la commissure de ses lèvres.
Quelques minutes plus tard, la salle était pleine : l'orchestre entama alors son premier morceau. La salle fit silence. On frappa trois coups sur le sol de marbre. Aarin sentit son cœur se soulever dans sa poitrine alors que les flammes naquirent dans les dix-huit coupes en or disposées le long des murs. Le grand rideau de velours blanc brodé de fil d'or se souleva. Il révéla une silhouette, lumineuse, assombrie par la lumière du jour au-dehors. Cette dernière fit un pas, sortant de l'ombre. La mélodie changea de rythme, se modulant, marquant davantage les pulsations. Une vague de chuchotements déferla dans la salle alors que Seira continuait sa marche. L'assemblée retint son souffle alors qu'elle admirait sa longue robe aux tons beiges et or, lui donnant une véritable allure de reine. Ses cheveux tressés étaient coiffés de sa tiare de gardienne, qui arborait fièrement ses cinq gemmes. Aarin ne put s'empêcher de remarquer qu'en quelques mois, ce qu'il restait de ses airs de jeune fille avait disparu. Seira avait hérité de la prestance de sa grand-mère. Ses longues et fines ailes blanches, tout en élégance, se dressaient dans le dos nu de sa robe, droites et fières. Ses rémiges primaires frôlaient le marbre du sol entrainant avec elles les pétales des lacrimensolae disposées par terre
Elle traversa l'allée, le regard droit et tourné vers la tribune du trône. Igar, le Grand mage, l'y attendait. Un élan de fierté le prit. Lorsque qu'elle parvint aux pieds de l'escalier, Elyon lui prêta son bras et d'un coup d'aile, ils se posèrent sur l'estrade. Avant de la quitter, il lui murmura quelque chose à l'oreille ; Seira sourit. La main de l'Invictus frôla le creux de ses reins avant qu'il ne s'en aille, se repositionnant aux côtés d'Armos. Pour avoir appris à lire sur les lèvres, Aarin sut exactement ce qu'il lui avait dit ; rien d'autre que ce que la salle pensait tout bas. Tu es absolument magnifique.
Seira adressa un hochement de tête à Igar, qui s'inclina. Puis, faisant face à la foule, elle s'inclina à son tour. Dans un ballet parfaitement coordonné, toute la salle lui répondit du même geste. Ses yeux verts, brillants se focalisèrent alors sur le haut de l'allée. L'on suivit son regard, et deux autres coups résonnèrent contre le sol.
Durant quelques secondes, Aarin fut incapable de penser. Son cœur manqua un battement, alors que ses yeux se posèrent sur l'ouverture par laquelle Seira était entrée quelques secondes plus tôt.
La robe de Seira était angélique, toute en élégance et en douceur, mais celle de Lenora était un feu ardent qui brûlait les yeux. D'un pourpre si foncé qu'il tendait vers le violet, le buste était orné de coutures en or. Une cape en mousseline était retenue par un collier croisant ses épaules et son cou, retombant avec majesté sur ses épaules. Heureusement qu'il n'était pas en train de voler, car il se croyait bien capable de tomber, à cet instant.
Il s'accouda au balcon, désireux de se rapprocher le plus près possible de la scène. Sa vue de faucon, pourtant, lui en donnait les moindres détails. Il espérait simplement que ses hommes étaient assez concentrés pour surveiller les invités, car à cet instant, il en était tout simplement incapable. De toute cette foule, il ne voyait qu'elle. Il n'avait toujours vu qu'elle.
Un élan de frustration le dévora soudain ; il aurait tant voulu pouvoir l'escorter jusqu'à l'estrade, comme Elyon l'avait fait avec Seira. Pourquoi avaient-ils décidé de garder leur relation discrète, bons dieux ? Il ne s'en rappelait plus, tout d'un coup. Ou alors, tout avait perdu de son importance. Il ne supportait pas qu'un autre homme que lui puisse la regarder, sans savoir qu'il était celui qu'elle avait choisi.
Lenora se posa à son tour près du trône, d'un large battement de ses ailes cuivrées. Son regard embrassa la foule, fier. Et, quand il se leva vers les balcons, le cœur d'Aarin fit un bond. Elle lui sourit, il lui sourit. Il espérait que dans ses yeux se lisait ce qu'il aurait tant aimé lui chuchoter, près de son cou. Tu te trompes. Je suis le chanceux de cette histoire.
Leur échange silencieux fut interrompu alors que la musique laissait place au silence. Igar prit la parole :
- Ce jour accueille un événement qui marquera à jamais notre histoire. Sur cette estrade ne se tient pas une reine, mais deux.
Il se tourna vers Seira, et lui prenant la main, la fit s'avancer.
- Son Altesse royale, la Princesse Seira Illire Selenis Meridionalis Crystal, fille de Laiken Meridionalis Crystal, 57e du nom, et petite fille de notre regrettée reine Kalyra, 57e du nom par intérim, choisit aujourd'hui de laisser sa couronne à Lenora Aureate Crystal Veris, fille de Briseis Crystal Veris. Aujourd'hui, la lignée Meridionalis connaîtra une scission. Aujourd'hui, la famille royale de notre Terre du Soleil s'agrandit.
L'heure qui suivit fut comblée par les différents serments que durent prêter Seira et Lenora, à genoux sur le sol, l'une en face de l'autre, leurs paumes tournées vers le ciel. Je jure de les protéger, de les gouverner, de les aimer, de les servir... Il écouta Lenora répéter ce qu'elle s'était entraînée à dire tant de fois ces derniers jours. Aucune once de nervosité ne débordait de sa voix, pourtant. Les différents discours et gestes du sacre étaient entrecoupés de morceaux traditionnels meridiems, sur lesquels dansaient les prêtresses des temples dans leurs robes d'un orange crépusculaire.
Soudain, Igar fit se relever les deux monarques, et l'orchestre entama un nouveau morceau. Plus lent, plus appuyé, plus envoûtant. Le toit de verre fut soudainement inondé de lumière, qui se déversait en cascade sur les deux silhouettes couronnées se trouvant sur l'estrade. C'était comme si le soleil plongeait sur elle, les enveloppait de ses rayons.
Comme beaucoup de jeunes Meridiems, Aarin avait commencé à cesser de croire en tous ces dieux que les temples de Danamore honoraient. En plus de cent ans de conflits, jamais aucun d'eux n'avait levé le petit doigt pour venir les aider. Mais ce qu'il voyait en cet instant... redonnait un point d'interrogation à toutes ces questions qu'il pensait avoir enterrées.
Les ailes de Seira se tintèrent d'un blanc plus vif, plus lumineux, comme pour répondre à l'appel du soleil. La jeune souveraine ferma les yeux, et la délicate ligne de sa mâchoire se tendit vers le ciel. Lenora l'imita, et leurs deux paires d'ailes se redressèrent. Toutes deux semblaient soudain ailleurs. Main dans la main, elles entamèrent une valse qui les emmena dans les airs. L'assemblée retint son souffle. La scène rappelait au souvenir des Meridiems leurs origines ; des enfants du soleil, des danseurs, des soldats, des êtres de lumières. Seira et Lenora tournaient, virevoltaient dans l'espace que leur dédiait le haut-plafond de la coupole, le blanc des ailes de la princesse se confondant avec le cuivré de sa cousine. Leurs robes flottaient autour de leur silhouette ; Aarin avait l'impression de contempler un rêve.
À mesure qu'elles effectuaient leur pas, qu'elles seules semblaient capables de comprendre, de suivre, une lumière naquit au centre de leur danse, comme un minuscule soleil. La danse ralentit, le tissu de leur robe retomba légèrement, avant de se soulever à nouveau, tel le souffle d'une respiration, au rythme de leurs battements d'ailes puissants. Les deux jeunes femmes se positionnèrent l'une en face de l'autre, se tenant les mains, l'astre entre leurs deux poitrines. Elles ouvrirent les yeux. Leurs iris étaient incandescents, comme habités par les flammes. Une couronne naquit alors du front de Seira, comme libérée des profondeurs de son esprit - ou de son âme. Aarin mit bien une seconde avant de se rendre compte que ce n'était pas une réelle couronne ; elle était faite de lumière. De rayons de soleil. On aurait dit une archange. Il comprit que l'objet ne symbolisait rien d'autre que la marque : celle de la lignée royale, désignant l'héritier. Celle que Seira portait en elle depuis sa naissance, sans la soupçonner : voilà qu'elle apparaissait aux yeux de tous, comme une preuve irrévocable. La couronne vint se positionner au-dessus du soleil qu'elles entouraient de leurs bras, et se désintégra en particules de lumière, pour ne faire plus qu'un avec l'astre. Instantanément, ce dernier grossit, libérant une aura de lumière qui vint aveugler la foule. Il grandit, grandit encore, jusqu'à embrasser en son sein les deux futures reines. Seira et Lenora se trouvaient désormais à l'intérieur même de l'astre, séparées du monde extérieur par ce qui ressemblait à un voile de lumière. Alors qu'il ne pensait pas cela possible, Aarin observa les rayons de lumière s'intensifier crescendo, jusqu'à ce que même lui, Meridiem pourtant capable de voir le soleil, ressentit le besoin de baisser les yeux. Mais il résista. Il ne voulait pas rater ça. Les deux jeunes femmes n'étaient plus que des silhouettes étincelantes, dorées, telles de purs êtres de soleil. Une vieille légende meridiem soutenait que seule la lignée avait conservé toute la pureté de la race meridiem. Seule la lignée contenait encore dans ses veines toute la force du soleil. Et si cette légende... disait vrai ? Aarin n'y avait jamais songé avant maintenant. Son cœur battait vite dans sa poitrine. Il savait que ce qu'il observait aujourd'hui ne se reproduirait peut-être plus jamais. Une scission. Pour la première fois, un membre extérieur à la lignée accédait au trône.
Soudain, il distingua que quelque chose d'étrange était en train de se passer - au niveau des ailes de Seira. Habituellement blanches, les rémiges de ces dernières commencèrent à se colorer d'une légère couleur sable... tandis que les ailes de Lenora perdaient toute couleur cuivrée pour devenir d'un blanc immaculé. Un silence assourdissant se fit dans la salle. Voir ainsi matérialisée dans le corps de leur souveraine la marque que la couronne avait changée de tête... rendait l'événement bien réel.
Aarin était là quand Seira était arrivée au palais un an et demi plus tôt, s'agenouillant devant Kalyra... quand tout à coup, elle s'était mise à gémir de douleur, pour se relever cinq minutes plus tard avec des ailes dans le dos - des ailes blanches d'ivoire. Des ailes de reines. Il ne s'était rendu compte qu'une seconde plus tard, en observant sa reine, le regard serein, ses rides distordues par le sourire qui lui barrait les lèvres, que ses propres ailes étaient devenues marron.
La lignée se manifestait ainsi. Des plumes blanches. Aucun Meridiem ne possédait de blanc sur ses ailes, pas même dans leur enfance quand leurs ailes ne sont que duvet, pas plus à l'âge adulte, même sur une plume - à moins que cedit Meridiem n'appartienne de près ou de loin à la lignée. Lenora avait reçu ce privilège à la naissance, puisqu'une petite partie de sang royal coulait dans ses veines - cela lui avait valu la pointe de ses ailes couleur de neige, alors que le reste de ses plumes était de cette couleur cuivre qu'il connaissait si bien. Désormais, ce blanc avait envahi toutes ses plumes, même les plus petites. Elle était ainsi officiellement reconnue comme membre de la lignée dirigeante. Pas besoin de couronne pour reconnaître son autorité.
On aurait pu s'attendre à ce que les propres ailes de Seira se colorent entièrement de cette douce teinte sable, aux discrets reflets dorés. Mais il n'en était rien ; ses plumes restaient presque intégralement blanches, hormis celles qui se trouvaient à l'extrémité de ses ailes. Dès que l'on se rapprochait de son cœur, de son âme, le blanc s'intensifiait. À croire que même si la scission avait bel et bien eu lieu, aucun sort ne pourrait jamais lui enlever son véritable héritage.
Les deux reines ne cessaient de se contempler, comme perdues dans le regard de l'autre, leurs paumes tremblantes blotties l'une contre l'autre. Leur poitrine se soulevait à une cadence effrénée. Leurs joues rouges et leurs yeux brillants donnaient l'impression qu'elles venaient de remporter une course aérienne.
La luminosité se fit de plus en plus faible, le petit soleil qui se trouvait entre leur bras et qui les avait embrassés de ses rayons avait disparu. Bientôt, l'estrade où se trouvait le trône fut quittée des rayons de soleil traversant la coupole, comme si celui-ci avait accompli ce qu'il avait à faire.
Elyon, au premier rang, fut le premier à s'incliner. Ce simple geste - mais d'une grande symbolique, au vu du respect qu'inspirait l'Invictus - sembla réveiller toute la salle, qui l'imita. Aarin, le cœur battant, s'inclina, une main sur le cœur. Mon dieu. Les violons reprirent timidement, et les deux souveraines se tournèrent vers l'assemblée, s'inclinant à leur tour. Seira se tient légèrement en retrait, tandis que Lenora s'avança d'un pas en avant sur l'estrade. Et aussi simplement que cela, la hiérarchie fut achevée, telle une lettre scellée par un sceau de cire.
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Point de vue Elyon
L'Invictus attendit patiemment que Seira, selon la coutume, finisse de saluer les autres souverains. Ceux de Tamilaris n'avaient pas été invités. De leur royaume n'était présente qu'une ambassadrice, qui se tenait sagement en retrait. Contrairement à son roi, qui ne cessait de se révolter contre les décisions du conseil à l'égard de leur trahison, celle-ci avait compris qu'il valait mieux la jouer profil bas. Torryn, la reine elfe, fut la dernière à qui Seira serra la main. Le meilleur pour la fin, n'est-ce pas ? Cette dernière avait répondu avant tous les autres à l'invitation la conviant au couronnement. « Pas trop tôt. Je veux une place au premier rang », avait-elle répondu par coursier. Une insolence qui lui était familière, mais qui n'avait pas manqué d'arracher un rire à Elyon. Il en souriait encore.
Ce fut à cet instant que les deux femmes se tournèrent vers lui, tout sourire, murmurant quelque chose qu'il ne pouvait pas entendre - mais qui semblait le concerner. Il releva un sourcil interrogateur, et quitta son siège pour rejoindre les deux têtes couronnées.
- Puis-je savoir ce qui vous fait sourire ?
Seira jeta un regard entendu à Torryn, qui lui adressa un discret clin d'œil. La jeune fille - la jeune femme - s'approcha de lui, posa une main sur son avant-bras et hissa sa bouche jusqu'à son oreille. Seira n'avait plus rien de l'adolescente qu'il avait rencontrée un an plus tôt, à peine majeure. Il s'en était d'ailleurs assez bien rendu compte ce mois-ci. Le simple contact de ses doigts fins sur sa peau le rendait fou. Et dire qu'il avait failli la perdre... heureusement, les mots de la jeune fille chassèrent ses pensées sombres, alors qu'il se concentrait sur sa voix :
- Torryn m'a demandé quand était le grand jour.
- Au risque de me répéter, je veux une place au premier rang, ajouta l'elfe.
- Vous m'en direz tant, répliqua l'Invictus, faussement agacé.
Dieux du ciel. Il n'avait jamais vu la reine elfe ainsi. Impliquée dans une histoire d'amour. Il ne la pensait pas aussi romantique. Cette dernière la regardait comme une mère, alors que Seira et elle discutaient d'une possible date de mariage... sujet dont personne ici n'était au courant - peut-être au mieux leurs proches amis s'en doutaient. Mais évidemment, l'elfe guettait l'événement.
Il aurait pu s'étonner du comportement de la reine si elle-même ne s'était pas tenue un an plus tôt devant lui, dans cette salle des miroirs, à Ophar, lui disant que cet amour le rendrait plus fort. À l'époque, il n'en avait pas cru un mot. Il avait juste eu peur... et il était parti. C'était l'une des plus grosses erreurs de sa vie. Il avait compris depuis qu'un guerrier n'était rien sans amour - celui de ses coéquipiers, de sa famille, de sa nation... de celui ou celle qu'il aimait. Qu'un guerrier seul était condamné. Il l'avait compris dans cette prison froide, sombre, à des lieux sous la mer, dans laquelle l'avait retenu Archaos. La seule chose qui l'avait empêché de se laisser mourir était la perspective de revoir Seira. D'embrasser ses lèvres à nouveau.
Une légère pression au niveau de ses paumes lui fit cligner des yeux, le tirant de ses pensées. Seira le regardait de ses grands yeux émeraude, l'air soucieuse - elle voyait ses pensées s'évanouir dans ses prunelles. Les siennes semblaient lui demander : « tout va bien ? ». Il sourit, et déposa un discret baiser sur ses lèvres - une maigre compensation en attendant de pouvoir la tenir entre ses bras, plus tard, quand ils seraient seuls.
Elle sembla s'en contenter.
- Je vous laisse, glissa Torryn, en s'éclipsant de sa démarche elfique.
L'étincelle dans ses yeux de chat, malicieux, semblait dire qu'elle avait eu sa réponse. « Bientôt. » Elyon s'imagina le temps d'une seconde Seira, en robe blanche, au bout d'une allée... Son cœur bouillonnait d'impatience, et ce simple constat le fit presque rire. Et dire qu'il y a encore deux ans, il avait juré de ne jamais se marier. Seira en avait décidé autrement.
Armos, chef des Invictus n'avait rien manqué de la scène, évidemment. Si Torryn se comportait comme sa mère, Armos n'était pas mal non plus dans son genre - même s'il dissimulait mieux son jeu. L'Invictus les rejoignit d'une démarche lente, mais puissante. Son armure dorée était tout aussi blindée que son armure noire habituelle - le doré, ce n'était que pour faire joli, pour donner l'impression que le Meridiem n'était pas de service en ce jour. Mais c'était faux, bien sûr.
Elyon crut presque voir un rictus au bord de ses lèvres. Quand son chef fut devant lui, il inclina la tête. Armos répondit à son geste, non sans s'être d'abord incliné devant Seira. Elyon s'étonnait qu'il n'ait pas encore reçu de sermon concernant sa relation avec la jeune Reine. L'amour n'était pas quelque chose qui devait préoccuper les Invictus - et c'est pourquoi, à la fin de leur initiation, ils juraient d'y renoncer pour tout le temps qu'ils porteraient la marque de l'épée dans leur nuque. C'est-à-dire : pour le restant de leurs jours. Ce serment était le seul qu'Elyon ait jamais brisé. Et il le referait encore et encore. Il sentit ses yeux se faire plus orageux, alors qu'il toisa son chef. S'il devait choisir, s'il devait renoncer à son statut pour rester auprès d'elle... il le ferait.
- Tout doux, mon fils, commença Armos.
Il sourit, son regard tombant sur la main de Seira sur son avant-bras, lui-même posé sur sa taille. Les deux étaient emboîtés, et bien décidés à ne pas se lâcher. Il y a cinq ans de cela, Elyon aurait levé les yeux vers les dieux devant un tel comportement - tellement niais, aurait-il dit. Mais il était stupide, ignare. Il ne se connaissait pas lui-même.
- Même si j'estimais que tu ne le méritais pas - parce que tu le mérites, Kaerio, vous le méritez tous les deux - je ne serais pas en droit de vous en empêcher.
De vous aimer, semblait-il omettre de dire.
- Les âmes sœurs sont intouchables, inséparables, Invictus ou non. C'est notre première loi.
Elyon fronça les sourcils. Il ne savait rien de cela.
- Fulgor, le premier Invictus, était une âme sœur, ajouta Armos. Il a créé la confrérie pour elle.
- Mais l'amour est interdit...
- Pas interdit. Dangereux, le corrigea le grand Meridiem. Cruel. Douloureux. L'amour tue... mais sans lui, la vie n'est rien. Et nous avons juré de protéger la vie.
Il plongea ses yeux d'acier sur lui, et à cet instant, Elyon aurait presque cru que son mentor pouvait voir son âme.
- Aucune guerre n'est légitime. Mais la seule qui mériterait de l'être est celle menée pour l'amour, par amour.
Et il conclut :
- Voilà la dernière leçon que tu pourras obtenir de moi, Kaerio. Ton initiation est définitivement terminée.
Le chef Invictus s'inclina devant lui. Les quelques personnes présentes interrompirent leurs conversations. Avant de s'en aller, Armos posa une main chaleureuse sur l'épaule d'Elyon.
- Prends soin d'elle, lui souffla-t-il, avant de s'adresser à Seira : merci de l'avoir ramené à la vie. Et je ne parle pas de votre court passage à Lytenis, votre Majesté.
Ce ne fut que quand son chef fut loin de plusieurs mètres qu'Elyon réalisa qu'il avait cessé de respirer. En dépit de tout le monde qui les entourait, Seira se blottit contre lui. Il passa ses mains contre son dos nu, inspirant profondément. Un court moment d'intimité - ou du moins ce qu'il était possible d'atteindre, dans une salle remplie par plusieurs centaines de personnes - leur fut accordé, avant qu'une voix familière ne vînt les interrompre dans leur étreinte.
- Seira, Elyon, s'avança Xerys, dans une révérence.
Saphir trottinait à ses côtés, ses grands yeux bleus luisant à la lumière des flammes. Seira quitta ses bras pour rejoindre ceux de sa Xemehys, soufflant d'un air exaspéré.
- Pas de cela avec moi, jamais, la réprimanda-t-elle en la serrant fort.
Son amie émit un petit rire, avant d'aller étreindre à son tour Elyon. Ce dernier accueillit la chaleur de son corps, son odeur - fleurie, fruitée et... familière. Cet effluve le ramena des années en arrière, alors qu'ils n'étaient qu'enfants. Ce sentiment de quiétude fut toutefois troublé par la vision d'un Leven en retrait, alors qu'il relevait la tête.
Xerys et l'espion avaient dû rester en retrait, pour ne pas créer d'esclandre. Mais ils avaient été là. Elyon ne savait pas s'il était heureux que son ancien ami ait assisté à pareil événement, ou si cela l'exaspérait. En somme, s'il avait envie de le prendre dans ses bras ou de l'égorger.
Son amie remarqua le nuage noir qui obscurcit le bleu de ses yeux. Une caresse de Seira l'exhorta au calme. Non que son âme sœur n'en aurait eu besoin... il était très difficile de lui faire perdre son sang-froid. Et en cet instant, oh, comme il était parfaitement calme. Trop calme - un calme d'avant la tempête. Il arborait le visage d'un guerrier jaugeant l'ennemi : froid, dur, impénétrable.
Les deux anciens compagnons d'armes n'avaient jamais eu l'occasion de se parler... ils ne s'étaient pas croisés depuis un mois, à vrai dire. De sérieuses restrictions empêchaient Leven d'arpenter le palais - c'était l'excuse officielle. L'officieuse, c'était que l'Invictus n'avait toujours pas pardonné sa trahison. Et que Leven n'était pas assez stupide pour tester sa patience.
Elyon avait déjà épargné et plaidé la cause de criminels plus dangereux. Mais aucun ne s'en était pris à ceux qu'il aimait. Lenora, Xerys, Seira... ainsi que tous ses soldats meridiems - voilà tout le monde qu'avait condamné son ami dans sa trahison. Il n'arrivait pas à chasser l'amertume dans sa gorge.
Il fit un pas, et l'espion eut le courage de ne pas reculer. Saphir baissa les oreilles, se réfugiant derrière son Amiliée.
- Elyon... le supplia Xerys, sa voix laissant transparaître son chagrin.
Le Meridiem n'en fit rien, ne quittant pas le traître du regard. Seule la présence de Seira derrière lui fit qu'il parvint à moduler à voix.
- Je croyais en toi. De tous, il a fallu que ça soit toi.
Il regretta que sa blessure transparaisse à ce point dans sa voix.
- Pour Xerys, je vais m'employer à te pardonner. Ça me prendra du temps, mais j'y arriverai. Pour elle. D'une manière qui m'échappe, tu as réussi à la rendre heureuse. C'est le plus important. L'amour pardonne tout, dit-on. Mais si tu lui as peut-être prouvé ton amour, Xerys n'est pas la seule à avoir perdu quelqu'un, ce jour-là.
Leven intégra les paroles de l'Invictus d'une mine blafarde, ses épaules voutées, le menton baissé. La honte, le chagrin, le regret transparaissaient sur son visage, tous à la fois. Il était si pâle qu'il donnait l'impression d'accuser des coups.
- Tu nous as tous mis en danger. Tu les as mis en danger, insista-t-il, en désignant Seira, Xerys, et plus loin dans la salle, Lenora. Avise-toi de recommencer...
- Cela n'arrivera pas. Elyon, je te le jure. Je paierai et rachèterai cette erreur toute ma vie.
Sa voix tremblait. L'Invictus se tut, car il perçut la sincérité de l'espion. Xerys glissa une main dans celle de son aimé, et lui adressa un mince sourire. Elyon détestait jouer à ce grand frère protecteur - il avait vu certain de ses compatriotes le faire avec leur sœur, leur mère, leur cousine... et il n'avait jamais compris pourquoi ces grands gaillards incapables de cuir un lièvre se permettaient de donner leur avis sur les agissements de ces femmes. Mais en cet instant, cela avait été plus fort que lui.
- Bien. Maintenant que les choses ont été mises à plat... profitons de cette paix bien méritée. Nous n'avons pas de temps à perdre, à ne pas nous aimer.
Elyon esquissa un rictus à l'entente des paroles de Seira. Son âme sœur détestait les conflits, et toute forme de violence. Ironique, pour la Gardienne et guerrière qu'elle était. Elle s'affairait toujours à calmer les choses, bien que se trouver au milieu de la tempête avait tendance à la mettre dans tous ses états. Elle n'en montrait rien sur le moment - sa voix avait été ferme, assurée. Le ton d'une amie qui était aussi une reine...
- Pourquoi ces têtes d'enterrement ? Qui est mort ?
Tous les quatre firent volte-face vers Lenora, au bras d'Aarin. Décidément, les deux ne font plus aucun effort pour cacher leur secret. Elyon débattait encore sur l'idée de faire un sermon à Aarin, aussi. Il avait failli, sur ce balcon, trois heures plus tôt. Juste pour être sûr... après tout, il ne serait bientôt plus assez souvent sur terre pour le surveiller. D'ici quelques heures, il descendrait avec Seira sous la surface, pour rejoindre Oblivion.
Lenora se pencha pour adresser une légère caresse à la grande louve noire.
- Personne... pas encore, en tout cas, répondit-il, d'une voix sombre.
Il fit délibérément suivre son regard vers Leven, dont les yeux le fuyaient. Lenora acquiesça, signe qu'elle avait compris. Elle ne le réprimanda pas. Elle aussi travaillait encore sur son pardon - aussi se contentait-elle de l'ignorer.
- Après deux heures à faire des poignées de mains... je vous propose de nous éclipser tranquillement sur la plage, dit alors la belle rousse.
L'Invictus n'en demandait pas mieux. Tout ce monde commençait à l'étouffer. Saphir redressa ses oreilles, sa queue remuant de droite à gauche. À elle non plus, il ne fallait pas le dire deux fois.
- C'est scandaleux, la taquina Seira. Tu viens de prêter serment, mais tu te dérobes déjà à tes devoirs de souveraine.
- Je dois avoir serré une centaine de poignées de main de plus que toi. Le prochain qui me présente un nom à particule avec un sourire faux aura sa poignée de main dans son visage.
Seira comme Aarin levèrent les yeux au ciel, ce dernier puni d'un coup de coude bien senti dans les côtes.
- Tu riras moins quand ce sera ton tour, répliqua encore Lenora. Il parait que les Aequoriales sont pires.
- Ne m'en parle pas. Je compte sur la présence du Guerrier de l'Aube à mes côtés pour limiter au possible leur présence.
- Je ne suis pas sûre qu'ils aient entendu parler de lui, reclus comme ils étaient... le taquina Xerys, une lueur de défi dans ses yeux azur.
- Oh, ils apprendront, répondit simplement l'Invictus.
Tous rirent en cœur, avant de filer aussi discrètement que possible vers la plage. De toute façon, qui allait pouvoir leur dire quoique ce soit ? À eux, le Guerrier de l'Aube, le Général de l'Armée meridiem, une Gardienne des Légendes, la Reine meridiem et la Grande Messagère ?
Elyon sourit. Une fine équipe, en effet.
À peine eurent-ils franchi la petite porte derrière le trône, que le vacarme de la foule se fit plus distant. Dans un rire, Seira souleva sa robe et se mit à courir, ses talons claquant contre le sol en marbre de ce couloir vide. L'hilarité de Xerys ne tarda par à se joindre à ses échos, la jeune femme sur ses talons, ses longs cheveux blonds lui caressant les épaules. Saphir bondissait, de sa démarche féline.
Lenora leur jeta un regard provocateur, relevant un sourcil, avant de s'élancer à leur suite. Elyon échangea une œillade avec Aarin. Ce dernier lui répondit d'un rictus carnassier. Tous deux déployèrent leurs ailes, et comme deux rafales, ils traversèrent le couloir d'à peine quelques battements d'ailes, rattrapant les trois jeunes femmes sans effort. Derrière eux, Leven avait fait le choix de concourir à la loyale - en courant. Dommage, pensa Elyon. Ignorant les cris de protestation dans leur dos, ils poursuivirent leur course jusqu'à atteindre les deux fenêtres, grandes ouvertes, au bout de l'allée. Enroulant leurs ailes autour de leur corps, en tonneau, ils les franchirent et parvinrent ainsi dans ce ciel de bord de mer. Nuageux, ensoleillé, au parfum d'iode. Immédiatement, l'Invictus se sentit respirer plus librement. Il entama une descente pour venir planer au-dessus du niveau de la mer, l'écume venant tremper ses plumes. Il admira la lumière se déposant avec grâce sur la houle, observa son reflet dans les vagues - il se vit tout sourire. Rayonnant. Il ne s'était pas vu ainsi depuis longtemps, s'il l'avait un jour été.
Dans ce miroir d'eau, il remarqua une ombre s'approcher à toute allure. Il se renversa sur le dos pour se retrouver presque front contre front avec Seira. La jeune femme avait perfectionné son vol : elle était plus rapide, plus légère, plus précise... au point de pouvoir voler au-dessus de lui, ses yeux dans les siens, sans jamais perdre le contrôle de ses ailes, ou son équilibre. « Tu as triché », le réprimanda-t-elle, mais il l'entendit à peine, un sourire aux lèvres. Il imprima dans sa mémoire son regard vengeur, ses joues rosies, ses longs cheveux ballotés par le vent, sa silhouette entourée de lumière...
Alors, il ressentit dans son ventre l'irréfutable certitude qu'il avait vécu jusqu'alors pour vivre cet instant. Qu'il avait affronté le deuil, la violence, la guerre... pour se retrouver, ici, en plein ciel, au cœur de l'océan, avec celle qu'il aimait.
Comme mû par un instinct primaire, il élimina les quelques centimètres qui les séparaient et planta sa bouche sur ses lèvres. Surprise, Seira vacilla, mais il la prit par la taille et il leur fit regagner de l'altitude. Son cœur battait si fort. Quand il rompit le baiser, leurs deux lèvres étaient gonflées. Seira respirait vite, les joues encore plus rouges. Observer sur son corps l'effet que le moindre de ses contacts avait sur elle... cela lui ôtait toute capacité à penser. Elle leva les yeux vers lui, un doux sourire étirant sa bouche. Il lui effleura la lèvre du pouce avant de l'entrainer vers la plage, là où leurs amis se trouvaient assis sur le sable.
En chemin, une ombre encore plus grande que la leur vint les supplanter. Nul besoin de relever la tête ; Halcyon, la collerette frémissante, les raccompagnait jusqu'à bon port. La lumière était bien trop heureuse de les voir sortir plus tôt que prévu de la cérémonie. Ses ailes devenant de plus en plus larges, le jeune dragon n'était pas autorisé à rentrer.
Ils posèrent pieds à terre, et Seira ôta ses chaussures, courant vers Xerys qui lui tendait ses bras. Les deux amies s'enlacèrent avec force. Le bras de Seira s'ouvrit davantage, invitant Lenora à se rajouter. Elle ne se fit pas prier, et rejoignit leur étreinte.
Le couronnement était l'aboutissement d'un mois de préparatifs, de pression, de réunions... et sa fin sonnait quelques semaines de pure tranquillité. Enfin, l'horizon apparaissait tranquille. Enfin, davantage pour Lenora et le reste du groupe que pour Seira et lui. Son propre couronnement devrait bientôt trouver sa date...
Elyon les observa d'un œil heureux, en retrait. Aarin vint se poster à côté de lui. Le général avait retiré le plastron de son armure ; l'Invictus fit de même, dans le silence, avant de se résoudre à le briser :
- Prends-soin d'elle.
Lenora était comme une sœur pour lui.
- Tu sais que je le ferai, lui répondit le Meridiem.
- Oui, je sais.
Et il esquissa un sourire, qui gagna ses yeux et qui laissa Aarin silencieux. Les deux Meridiems se prirent dans les bras, dans une embrassade musclée, mais pas moins vraie, et douce - à leur manière.
- Merci pour tout ce que tu as fait pour Seira quand je n'étais pas là pour le faire, ajouta-t-il dans un souffle. Je ne t'ai jamais remercié, mais je t'en serai toujours redevable.
Le général tourna la tête vers lui, un peu trop rapidement, comme s'il ne s'attendait pas à une telle réplique. Il reste muet une longue seconde, avant de répondre :
- Ne t'avise pas de recommencer... Elles ont besoin de toi.
Elyon sut qu'il faisait aussi bien référence à l'année passée que quelques mois plus tôt.
- Je ne suis pas certain que Seira, Xerys ou Lenora n'aient jamais eu besoin de mon aide. La preuve.
Ils regardèrent les trois jeunes femmes, qui se tenaient plus loin sur la plage. Tous deux restèrent silencieux, perdus dans leurs pensées. Elles discutaient, tout sourire.
- Elles sont fortes, murmura Elyon.
Aarin sourit, et la fierté inondant ses prunelles ambre, il acquiesça.
- Je suis content qu'elle t'ait trouvé, ajouta-t-il alors. Je ne l'avais jamais vue aussi vivante depuis longtemps.
- Je n'ai fait que lui rendre ce qu'elle me donnait sans le savoir depuis des années, avoua Aarin.
Elyon le considéra un long moment. Il l'avait toujours su, ou du moins, il le soupçonnait . Ses yeux ne quittaient pas la nouvelle reine des yeux. Sa simple vue semblait embraser ses prunelles, les emplir d'une chaleur particulière, presque surnaturelle. L'Invictus se demanda s'il regardait Seira de la même manière.
- Je n'arrive pas à croire que vous partez demain, soupira alors Xerys, tandis que les trois jeunes femmes revenaient vers eux.
Ils s'assirent à même le sable, tournés vers l'horizon. La Xemehys se coucha près de Leven, qui n'avait pas pipé mot depuis son sermon.
- C'est tôt, ajouta-t-elle.
- Les Aequoriales ont passé vingt ans avec un tyran à leur tête, lui répondit Seira. Je ne peux plus les abandonner plus longtemps.
- Ce n'est pas un au revoir, lui rappela doucement Lenora. Les portails se rouvrent progressivement, maintenant que la guerre est finie. Nous pourrons nous voir régulièrement.
- De quels portails parles-tu ? La reprit Seira, souriant malicieusement, alors que sa magie tournoyait entre ses doigts.
Cela faisait un mois qu'Elyon et elle s'employaient à tester ses limites. Ils n'étaient pas sûrs d'avoir exploré complètement toutes les possibilités qu'offrait son pouvoir, qui se confirmait être des plus puissants. Les progrès étaient lents, car plus que Seira se découvrait avec un tel pouvoir entre les mains, plus l'appréhension grandissait. D'ailleurs, plus ils faisaient appel à sa magie pour en trouver le fond, plus celle-ci semblait affluer, et le fond reculer. Pour ça, l'antimagie d'Elyon était la seule chose qui semblait rassurer Seira. De temps à autre, dès qu'elle sentait son corps... saturer, la jeune femme venait s'accrocher à son bras. Il la serrait contre son torse, et lors de ces moments, leurs deux pouvoirs paraissaient se répondre, chanter ensemble. Quand ils se tenaient ainsi, serrés l'un contre l'autre, leurs deux pouvoirs entrelacés - magie et antimagie - tout semblait prendre sens... revenir à sa place. La perfection avec laquelle Seira et lui se complétaient l'effrayait, parfois. Ce sentiment de plénitude qu'il ressentait quand il la tenait dans ses bras, comme s'il n'avait cherché qu'à combler ce vide jusqu'alors... il ne faisait qu'empirer ses angoisses. Il se réveillait encore chaque nuit avec le songe de l'avoir perdue.
Un court moment de silence s'écoula, durant lequel ils se concentrèrent sur le chuchotement des vagues.
- Vous regagnez la grotte, avec Leven ? s'enquerra Seira.
En entendant son prénom, le jeune homme releva la tête, comme surpris. La Gardienne lui adressa un doux sourire, qu'il lui rendit, timidement. Seira avait toujours été meilleure que lui. Elle n'avait pas de difficulté à pardonner. Elle ne voit que dans le meilleur dans les autres, pensa Elyon.
- Oui, il y a de l'ordre à mettre. Plus personne n'a entretenu la grotte depuis... depuis la mort de maman. Elle m'a chargée d'y remédier.
Il oubliait que Xerys avait été morte, pendant quelques mois. Qu'elle avait résidé à Lytenis, et retrouvé ses parents. Il n'avait jamais pu lui demander ce que cela faisait, de se retrouver là-haut, de retrouver sa famille perdue... La jeune Messagère était changée. Elle était plus calme, plus mature, parlant moins, observant beaucoup. La voir aussi sereine, aussi adulte, lui avait donné un coup. Il se souvenait encore de son petit nez, de ses petites mains, alors qu'elle n'avait que huit ans, en lui demandant de lui prêter son épée en bois. La mort ne l'effrayait plus. Ses yeux azur étaient ceux d'un sage, d'une femme qui avait davantage connu la mort que la vie, qui avait bien trop vu du monde pour ses dix-neuf ans.
Il avait toujours été bien plus doué pour faire parler un homme que pour parler de lui-même. Peut-être parce qu'il préférait sentir. Alors, il passa un bras autour des frêles épaules de son amie, et l'embrassa sur la tempe. Elle esquissa une légère expression de surprise avant de sourire, et de laisser tomber sa tête contre son épaule.
- On en a fait du chemin, hein ?
- Et aujourd'hui, on est arrivé, soupira-t-il. On peut s'arrêter de courir.
- Ça, j'y croirai quand je le verrai, le taquina-t-elle. Ce n'est pas ton genre.
Je n'ai jamais eu le choix, aurait-il aimé lui dire. Mais ce n'était ni le lieu ni l'endroit. Ici, sur cette plage, ne comptaient que leurs étreintes, leurs souffles, leurs sourires. Tout ira mieux demain, et après-demain. La guerre ne nous quittait jamais vraiment, mais vivre avec devenait de plus en facile. Et pour la première fois depuis longtemps, il avait hâte de connaître ce demain. Il avait hâte de vivre cette vie à la pensée de laquelle il s'était tant accroché, dans cette prison. Ce serait sa meilleure vengeance, pour toutes ces années de souffrance silencieuse.
Il était arrivé, comme disait Xerys. Seira se blottit contre lui, et elle lui sourit, entrecroisant leurs doigts.
Il était à la maison.
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