Chapitre 1 - Luxe Macabre
[Réécrit, non corrigé]
Dans la magnifique salle de réception, apprêtée exclusivement pour ce jour, des chandeliers tout en reliefs et en dorures illuminaient les sourires joyeux et festoyant des convives.
Des conversations par centaines, des airs niais plaqués sur des figures si sérieuses à l'accoutumée, des odeurs appétissantes et des mets alléchants à profusion, c'était ainsi que la famille royale avait imaginé ce rassemblement. Le résultat dépassait leurs attentes. C'était sublime. Enfin, sublime est un bel euphémisme !
Les invités étaient ravis, les coupes de champagnes se remplissaient et se vidaient. Le vin aussi semblait plaire au public; les effluves de la boisson étaient détectables à toutes les tables, au grand dégoût des plus jeunes.
Partout où l'on tournait la tête, on pouvait voir des domestiques apporter avec difficulté, mais aussi avec fierté, les lourds et délicieux plats proposés au menu par les cuisiniers royaux sur les longues tables de chêne. On pouvait aussi remarquer le nombre ahurissant d'assiettes vides se baladant d'un bout à l'autre de la salle.
Les bourgeois discutaient tous ensemble, peu importe leur rang. C'était une situation rare et donc une opportunité de se faire des contacts et de nouer des liens inespérés. Certains cercles restaient un peu plus clos, comme celui de la famille royale, qui dinait sur une table à part avec les intimes.
La plupart du temps, les cadets du groupe comméraient et échangeaient les dernières nouvelles de la cour. Cette nuit-là, ils avaient choisi de se restreindre un peu; leurs parents avaient répondu présent à l'appel.
Vous l'aurez peut-être compris, c'était la dernière génération de la famille Basileus, la famille royale, qui organisait les réjouissances de la soirée.
Les jeunes Basileus étaient très doués pour cela. Ils disposaient de plusieurs atouts précieux, qui rendaient leurs réceptions grandioses et immanquables pour n'importe qui.
La première carte de leur jeu était leur immense château, dans lequel ils habitaient entre frères et sœurs.
Ce palais était si vaste et monumental qu'on aurait pu y faire loger trois théâtres. En outre, il était déjà splendide sans aucun ornement, avec ses nombreuses statues sculptées délicatement sur la pierre blanche, ses fontaines majestueuses qui bordaient l'arrière-cour et qui, on-ne-sait-comment, faisaient valser les jets d'eau et offrait un magnifique spectacle à quiconque y laissait glisser le regard. Ainsi qu'avec sa superbe architecture, ses toits en dôme dorés, l'édifice avait déjà tout pour lui. Alors, il fallait le voir décoré de bas en haut, de long en large, de magnifiques bouquets de fleurs fraiches et meublé divinement. C'était incroyable.
Leur second avantage principal, était la possession des terres qui jouxtaient leur immense demeure.
Ces terres-ci couvraient plus que nécessaire les besoins alimentaires du château et de ses résidents. Le trop-plein d'ingrédients permettait en effet à la fratrie d'organiser souvent des évènements dînatoires. Grâce à eux et à ces sols fertiles, la population ne manquait jamais de rien et adorait les jeunes en partie Basileus pour cette raison. Et, soyons honnêtes, la nourriture rapproche les gens.
On racontait qu'une fois, alors que le pays était en guerre contre une contrée voisine, les Basileus avaient eu vent d'une famine terrible du côté de leurs opposants. Quelque chose d'affreux ; si les familles avaient un peu de chance, ils avaient tout juste un croûton de pain pour la journée, pour quatre. Le bilan des décès était terrible, abominable, inimaginable. La famille royale, bien qu'un peu embêtée par cette bataille faisant rage sur leurs frontières à l'ouest, décidèrent contre toute attente d'envoyer quelque cinq tonnes de nourriture et d'ingrédients aux affamés. La confrontation avait cessé le lendemain même, et les deux royaumes étaient dès lors très proches.
Voyez ! C'est exactement ce que je vous disais; la nourriture rapproche les gens.
Leur troisième et dernier grand atout, était leur sens du style.
Oui, les Basileus savaient y faire avec les fêtes et les réunions. Ils étaient doués, c'est tout, il n'y a pas grand-chose à dire de plus.
Les convivialités bien entamées, alors que la nuit tombait à peine, un laquais vêtu d'une queue de pie fit son apparition. Un Basileus lui intima de s'approcher. Il murmura à son oreille quelques paroles et le serviteur s'éloigna respectueusement par la suite.
Il monta dans un grognement d'effort sur un escabeau positionné à côté de la magnifique table royale. Il se racla bruyamment la gorge, jeta un regard sur les souverains et entama son discours d'une voix forte et claire.
- Mesdames et Messieurs, bonsoir !
L'auditoire fit silence. Intrigué par cet appel soudain. L'homme continua.
- Nous espérons tous que votre soirée a bien démarré, et que le banquet vous satisfait ! Les hôtes prient pour que leurs efforts aient payés.
Il marqua une pause et les spectateurs applaudirent durant un long moment.
- Leurs Altesses les Basileus m'ont demandé de vous avertir de la suite des événements. En effet, la prochaine partie de votre festin se déroulera en extérieur, dans les jardins. Une surprise vous y attendra dans quelques minutes !
La foule toisa l'homme avec dédain. Chaque personne fit des allers-retours entre l'orateur et la souveraineté. Des murmures s'élevèrent dans l'assemblée. Certains revenaient cesse dans toutes les bouches.
《 Pourtant il fait nuit noire dehors... Ils n'ont pas peur de... 》
《 Oui, c'est vrai, on pourrait se faire attaquer, et nous n'aurions aucun moyen de résister, ce serait un carnage... 》
Un audacieux au-devant des gens leva la main. Il s'avança au plus près du laquais et posa la question qui brûlait aux lèvres de tous :
- Avez-vous prévu quelque chose contre les Dnophos ? Ne craignez-vous donc pas une attaque?, demanda-t-il de sa voix crécelle.
Le servant, visiblement lui aussi dans le doute, se tourna vers les Basileus. Il capta le regard du prince ainé, Astós, qui prit immédiatement la situation en main.
Il repoussa dans un grincement sa chaise en bois massif, se redressa et fixa l'inquiet dans les yeux. Astós lui répondit avec un grand sourire, noyant les doutes de ses interlocuteurs au passage.
- Écoutez-moi tous ! Je sais pertinemment que vous êtes dans l'appréhension d'une possible attaque de Dnophos.
Un silence de mort s'abattit dans la salle. Un homme toussa dans le fond.
- Néanmoins, vous êtes tout aussi conscients que ces... choses n'ont pas refait surface depuis des années, alors pourquoi maintenant ?
Un ange passa. Astós s'exhorta. Il devait les rassurer.
- Tout ce que je vous demande, c'est de prendre du plaisir, et de sortir de la crainte le temps d'une soirée. Vous pouvez le faire, j'en suis convaincu ! Alors mes amis, laissez-vous aller et je vous promets que tout ira bien.
Sa voix était grave, mais suave, alors qu'il s'était exprimé, tout le monde s'était tu. Tous étaient pendus aux lèvres du jeune prince.
Il resplendissait dans son armure noire lustrée. Elle portait le blason de sa famille, dont il serait bientôt le chef. Ses cheveux de jais un peu en bataille lui conféraient un air rebelle, ses fossettes étaient charmantes et son sourire dévastateur. Et ses yeux... oh ses magnifiques yeux ! De toute beauté ! Leur bleu vif vous transperçait au moindre contact. Il était beau, il étincelait, c'était le parfait héritier. Tous l'adoraient.
Sa jeune sœur assise à sa droite, la princesse Kyria, se leva à son tour et lui sauta au cou. Elle cria à l'attention de la foule :
- Tout le monde dehors ! Et que le festin continue ! Youhou !
Le reste de la famille explosa de rire avec elle et tous les invités se dirigèrent dans les jardins du palais, un peu moins préoccupés.
Lorsque la totalité des convives fut sortie, les lumières se tamisèrent et de faibles chuchotis se firent entendre. On attendit quelques secondes, rien ne se passait. Les murmures se firent un peu plus forts.
Dans la pénombre la plus totale, alors que les invités s'impatientaient, l'orchestre qui s'était glissé discrètement à l'arrière des jardins, commença son morceau grandiose.
Tous se turent pour laisser place et apprécier la magnifique symphonie qui s'élevait dans la nuit. C'était une mélodie douce, mais prenante. On était emmené par sa puissance, sa présence, sa prestance.
Après quelques mesures, un sifflement aigu se fit entendre dans le ciel. Peu le remarquèrent, mais tous se retournèrent quand les nuages s'éclairèrent et qu'une salve d'explosions de feu magnifiques atténua la pénombre de la nuit.
Au son des hoquets de surprise et d'émerveillement, la famille Basileus, postée proche des portes, sourit. Ce spectacle pyro-musical avait comblé leurs invités. Le but était atteint. C'était magnifique.
Alors que le dernier jet de flammes se consuma, tous retinrent leur souffle et tressaillirent. Un cri perçant retentit dans la presque-obscurité. Plus personne ne dit rien.
La foule entière se tourna vers les Basileus.
Kyria avait agrippé son Astós par la manche et ses yeux parlaient pour elle. Remplis de larmes et fixés vers la forêt, ils montraient la terreur. Le petit dernier de la fratrie, un bambin de tout juste trois ans, se précipita dans les bras de la nourrice et fondit en larmes. Ses pleurs, tel le battement d'ailes du plus majestueux des papillons, répandirent l'inquiétude et la terreur parmi les invités.
Le chaos se fraya un chemin dans la foule, et conquit les convives avec une facilité surprenante.
Astós, conscient de la discorde omniprésente qui pouvait empirer en peu de temps se ressaisit. Il redressa ses épaules, bomba son torse, et prit une grande bouffée d'air.
Il prit la parole, confiant :
- Écoutez-moi tous ! Je veux que tout le monde rentre à l'intérieur, et ne sortez sous aucun prétexte. Gardes ! J'ai besoin d'une demi-douzaine d'hommes avec moi.
Ses soldats lui ne réfléchirent pas et obéirent. Astós se tourna ensuite vers son frère
- Endiáthetos, frangin, tu viens aussi.
L'intéressé eut un moment de recul et trébucha sur la marche qui s'était glissée sous son pied. Il s'affaissa lourdement sur le sol. Il bredouilla.
- Quoi? Non! Je... Je ne peux pas venir! J'ai... j'ai un truc à faire à l'intérieur... Non, je ne peux pas venir avec toi !
Néanmoins, il ne bougea pas. Astós reprit ses commandements.
- Il me faut deux hommes avec ma famille et mon père. Tous les autres, veillez à la sécurité
du peuple ! Verrouillez les portes et blindez les fenêtres.
Il baissa d'un ton, et marmonna de sorte qu'il soit le seul à pouvoir entendre.
- On n'est jamais trop prudent...
De nouveau, il reprit son air assuré et dévoila ses intentions à la foule.
- Je pars dans la forêt avec mon unité. Nous allons procéder à un ratissage de la zone. Nous ne savons pas de quelle menace il s'agit, quand bien même il y aurait une menace. Écoutez la garde pendant notre absence, et je le répète, ne sortez sous aucun prétexte avant notre retour.
Sous le ciel étoilé, la foule se rua à l'intérieur du palais et les gardes fermèrent les immenses portes derrière eux, laissant seuls Astós, sa troupe, et son frère, toujours assis sur le sol. L'héritier se rapprocha de son frère d'un pas décidé, lui attrapa le bras au niveau du biceps et l'aida à se relever. Il brusqua volontairement son cadet afin qu'il se ressaisisse.
- Allez, Endiá! Debout! Tu as 15 ans, je t'ai épargné jusque-là, mais il est grand temps que tu viennes en expédition avec moi. Tu vas découvrir les frissons et l'adrénaline que procure une expédition.
Endiáthetos poussa un soupir d'agacement et suivit son frère jusqu'aux écuries, trainant les pieds et soufflant à répétition pour faire comprendre à son ainé qu'il n'avait aucune envie de partir.
Astós passa une main exaspérée sur son visage et commença à marcher, sa petite troupe derrière lui.
- On peut pas être tranquille deux minutes ici ! pesta-t-il à voix basse.
Les brins de foins crissaient à chaque contact avec une botte et comblaient le silence de la nuit. Les hommes ne discutaient pas, Astós était concentré et attachait avec précaution son plastron sur son buste musclé. Il fit subir le même sort à Endiáthetos qui ne voulait toujours pas fournir la moindre once d'enthousiasme.
- Bouge tes grosses fesses sinon tu te débrouilles pour mettre la fin de ton armure, dit l'héritier tout à fait sérieux.
Son frère ne faisant toujours aucun effort, il laissa bruyamment tomber les pièces de l'armure aux pieds d'Endiá. Lequel manifesta immédiatement son mécontentement.
- Astós! Tu n'es pas sérieux tout de même ?
Et celui-ci ne réagissant pas, il maugréa.
- Espèce de bricon...
L'ainé cria du fond de l'écurie:
- Langage Endiá!
Une autre salve de grognements et d'insultes suivirent cet épisode, ce qui n'empêcha pas les soldats de se préparer (dans un tumulte d'obscénités).
Une fois les chevaux sortis, le palefrenier tendit les rennes à chacun. Les lanières de cuir passèrent dans les mains un peu caleuses d'Astós. Le prince chevaucha son destrier de jais et attendit que toute son unité en face de même. Le palefrenier, une fois ses tâches accomplies, couru pour rentrer à l'intérieur du palais. Astós donna un coup de talon à sa monture, qui hennît et avança dans un cataclop régulier, bientôt suivi par le reste de sa troupe.
Ils parcoururent une petite distance dans un galop rapide, le prince ainé à la tête du groupe. Il amena ses hommes à la lisière de la forêt et les fit tous descendre de leurs magnifiques étalons. Le prince désigna un de ses soldats pour garder les montures et lui demanda de ne pas s'éloigner. Il attrapa la lanterne qu'un de ses guerriers lui tendait et prit encore une fois la tête du groupe.
Il s'assura que son petit frère le suivait bien, encadré par ses subordonnés et avança entre les arbres, se fiant seulement à son instinct. De fines branches craquaient sous leurs pas lourds, et l'odeur des feuilles du Gattilier étaient partout.
Dans la pénombre, ils avançaient à tâtons, la lumière n'éclairant pas très bien, ils n'avaient pas d'autre choix.
L'instinct d'Astós lui faisait défaut cette nuit-là.
Au bout d'une petite heure passée à chercher, groupés, mais sans jamais rien trouver, Endiáthetos qui avait depuis peu repris ses jérémiades, dit tout haut ce qu'il pensait de la stratégie de son ainé.
- Astós, tu vois bien qu'on ne trouve rien de cette façon! Il faut que nous nous séparions ainsi, nous couvrirons plus de terrain et le ratissage sera plus efficace.
Le prince se rendant à l'évidence, ralentit la cadence et souleva une question qui méritait d'être réglée.
- Et comment comptes-tu voir quoique ce soit dans la pénombre?
Endiá arqua un sourcil l'air de dire «Tu te fiches de moi?», désigna une branche assez épaisse par terre et lâcha:
- Qu'est-ce que c'est ça?
- Hum... une branche? demanda Astós, septique.
Le cadet ramassa ce morceau de bois, déchira un bout sa cervalière et le noua à son extrémité. Puis, il revint un peu sur ses pas en trottinant pour faire face au plus âgé des soldats. Il tendit sa main.
- Prêtez-moi votre flasque s'il vous plaît, dit-il sévèrement.
- Moi... mais, quelle flasque? balbutia-t-il innocemment.
- Allez, faites pas d'histoire, j'ai pas le temps pour ça, le gronda-t-il.
Le vieux soldat lui tendit sa bouteille à regret. Endiáthetos le remercia avec empressement et retourna aux côtés de son frère, bâton en main. Astós gratifia le vieil homme d'un regard réprobateur, mais en revint rapidement à Endiá.
Il déversa un peu d'alcool sur le tissu et répéta le processus autant de fois qu'il y avait d'hommes. Personne ne disait rien et tous le regardaient faire.
Une fois terminé, il regarda Astós dans les yeux.
- Que vois-tu maintenant? demanda-t-il.
L'héritier sourit malicieusement et pouffa de rire. Endiá fronça les sourcils.
- Je peux savoir ce qu'il y a de si drôle à tes yeux?
Le grand brun, une fossette au coin de la bouche, ébouriffa affectueusement les cheveux blonds de son petit frère.
- Je savais pas qu'il y avait un cerveau là-dedans! se moqua-t-il
Endiáthetos bougonna (encore). Astós reprit son sérieux.
- Allez, chacun prend une torche et on se disperse. Si vous avez un problème, sifflez. Ou criez. Ou les deux, on verra bien!
Il mit feu aux morceaux de bois et les jeta habilement à chacun de ses camarades. Ils suivirent les ordres, se séparèrent.
Astós marchait toujours tout droit. Le cuir de ses bottes qui se froissait à chaque pas faisait un léger bruit qui dérangeait le silence environnant. Il enjambait avec précaution les enchevêtrements de grosses racines successifs.
Cinq minutes. Dix minutes. Vingt minutes. Toujours rien.
Dubitatif quant à l'efficacité des fouilles, l'ainé des princes arrêta son parcours. Il balaya grossièrement ses alentours avec sa torche de fortune et laissa son regard s'accrocher à son palais, qu'il pouvait apercevoir depuis sa position.
Il laissa errer ses pensées, ne prêtant plus attention à rien.
Elle était vraiment belle cette réception qu'ils avaient offerte à la noblesse. Mais peut-être aurait-il fallu mettre du Lys dans les bouquets, plutôt que les Azalées japonaises. Et il manquait un peu d'argenterie. Peut-être devrait-il aller visiter le céramiste un de ces quatre. Il pourrait lui commander quelques-unes de ces jolies assiettes qu'il avait aperçues en devanture de sa boutique. Et les coupes en or qu'il avait gravées auraient bien plu Kyria. Kyria... Est-ce qu'elle allait bien?
Astós fut brusquement ramené à la réalité par des hurlements stridents, suivis par des tentatives de sifflements et des demandes aux secours braillées à travers la forêt.
Son cœur manqua un battement quand il reconnut la voix un peu éraillée de son frère. Sa torche tomba et s'éteignit. Il fit demi-tour, plus vite qu'il ne l'avait jamais fait, et s'élança à toute vitesse vers les cris suraigus d'Endiá. Il esquiva avec habileté tous les obstacles au sol et se débarrassa avec son épée de tous ceux qui se mettaient en travers de sa route.
Astós courrait. Il criait aussi.
- Endiá, j'arrive! Ne bouge surtout pas!
Il pouvait suivre la trace de son frère avec aisance, il ne cessait pas de siffler.
Après quelques secondes qui parurent une éternité, Astós arriva finalement aux côtés de son frère, haletant. Le jeune homme était par terre, son derrière baignant dans la poussière et les feuilles en décomposition. Endiá plongea son regard dans celui d'Astós, les yeux paniqués, le cadet ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit.
Dans la presque-obscurité Astós ne voyait que son frère, les fesses au sol, allant parfaitement bien. Pris d'un élan de colère et de soulagement, il l'aida à se relever puis le secoua brusquement par les épaules, lui hurlant à la figure.
- Mais ça va pas la tête ? Tu es complètement barge ou quoi ? Tu es cinglé, ma parole ! Pourquoi brailler comme ça ?! Ce signal est réservé exclusivement aux urgences ! Tomber dans la poussière n'est PAS une urgence ! J'ai cru qu'il t'était arrivé malheur avec tous tes cris ! Tu ne me refais plus jamais, au grand jamais quelque chose de la sorte ! Maintenant justifie-toi ! Et j'espère que ce n'est pas un de tes caprices de gamin !
Endiáthetos, frustré, se dégagea de l'emprise destructrice de son ainé. Il s'avança d'un pas décidé vers lui, le faisant reculer d'un pas. Astós leva un sourcil.
- Si tu me laissais parler... Peut-être que tu comprendrais pourquoi j'ai réagi de la sorte, dit Endiá d'une voix hésitante.
- Je t'écoute ! Parle ! tempêta son frère.
Endiáthetos, les épaules en avant, sa torche dans sa main droite, éclaira derrière lui, ne disant d'abord rien. Il se décala pour donner l'occasion à son devancier d'observer. Le visage d'Astós se décomposa peu à peu et sa mine s'assombrit.
- Voilà... lâcha le cadet.
Les yeux d'Astós faisaient des allers-retours entre son frère et la raison de ses cris, il avait un peu honte de l'avoir malmené ainsi. Malheureusement, son ego un peu trop gros lui interdisait de s'excuser.
- Je t'avais dit que je ne voulais pas venir ! implora Endiá.
- Bon, au moins, on a trouvé ce qu'on cherchait ! dit-il.
- J'ai trouvé, tu veux dire, le rectifia Endiáthetos.
- Oui, bon, c'est pareil, maugréa l'ainé.
Endiá foudroya son frère des yeux. La lourde boule qui avait trouvé une place dans son ventre ne voulait pas s'en déloger. Il pensait savoir de quoi il s'agissait, mais il espérait avoir tort. Le jeune homme avala avec difficulté sa bile et apostropha son frère qui s'était accroupi aux côtés du corps.
- Il est... mort ?
- Oui, répondit Astós, concentré.
- Tu sais ce qui lui a fait ça?
Endiá désigna la dépouille avec son doigt. Il avait constaté son mauvais état (si vous me permettez). Le défunt portait une barbe et était trapu. On pouvait deviner sa taille moyenne et peut-être sa morphologie précédemment arrondie. Pourquoi précédemment ? Très simplement, car il ne l'était plus. Le corps était strié de rides, sa peau avait perdu toute teinte et était à la limite du translucide. Sous la peau, seulement les os, les vieux vêtements précédemment ajustés flottaient désormais démesurément sur le corps squelettique du défunt. Et malgré cette apparence singulière, pas la moindre trace de sang autour de lui. Rien du tout.
Astós hésita un moment avant de répondre.
- J'ai une théorie. Mais elle ne va plaire à personne, dit-il d'une faible voix.
- Hmm
Les autres soldats, arrivés pendant l'analyse du corps par Astós arboraient une mine aussi choquée que celle adoptée par Endiá l'instant précédent.
Dans le silence et la pénombre de la nuit, les soldats, chacun une torche dans la main, retenaient leur souffle, attendant le verdict de l'héritier. Ils savaient déjà tous de quoi il s'agissait, mais si personne ne le prononçait à haute voix, peut-être n'était-ce pas réel ? Juste un cauchemar, très long, très réaliste ?
Malheureusement pour eux, tout ceci était bien vrai, et Astós concrétisa.
- Les Dnophos sont de retour, mes amis.
Silence.
Les soldats et Astós se rapprochèrent les uns des autres, puis commencèrent à discuter à voix basse, laissant Endiáthetos sur le côté. Pas la peine de l'angoisser avec ça, il valait mieux laisser les adultes s'en occuper.
Sans qu'il sache pourquoi, le regard du cadet se posa sur la tour Est du palais qu'on pouvait légèrement apercevoir d'ici. Son ventre se noua de nouveau, plus fort, douloureusement. Il avait un mauvais pressentiment. Son corps avait réagi plus vite que son esprit, et une fois que le cerveau suivit, Endiá interrompit les messes basses du groupe. Il saisit la manche de son ainé, tel un petit garçon, et il déblatéra de sa voix chevrotante.
- Elle a faim. Ce n'était pas suffisant. Le château, nous lui avons offert un festin Astós !
Une ride barra son front et son regard glissa de son frère, au corps, au château. Il prit une inspiration tremblante, attrapa son frère par le bras, une torche dans l'autre, et fonça en direction du palais. Il hurla de derniers ordres à ses subordonnés.
- Occupez-vous du corps! Revenez ensuite au château ! Restez à l'extérieur jusqu'à ce qu'on vienne vous chercher!
C'était certes un peu moins rapide à pied qu'à cheval, mais l'adrénaline rendait les choses plus faciles. Astós tenait désormais son frère par la main, Endiá, peu endurant, hyperventilait. Mais tous deux savaient qu'ils ne devaient en aucun cas s'arrêter. Il était peut-être déjà trop tard, mais rien n'était sûr, alors mieux vaut mettre toutes les chances de son côté et arriver en vitesse.
Les lourdes armures qu'ils revêtaient, claquaient et grinçaient à chaque mouvement, ce qui entourait les deux jeunes d'un bruit assourdissant. Leurs ventres habités par une lourde boule étaient noués et les torturaient de douleur.
Leurs pieds saignaient, entre les ronces, qui déchiraient parfois le cuir de leurs bottes, et la semelle inconfortable, chaque pas était une torture. Mais encore une fois, pas question de s'arrêter.
La demeure était là, devant eux. Astós lâcha la main de son cadet et termina sa route avec une accélération monstre, soulevant un fin nuage de poussière sur son passage. Endiá stoppa immédiatement sa course, se précipitant dans un buisson pour vomir ses tripes.
Le sang d'Astós se glaça dans ses veines lorsqu'il arriva devant les portes. N'ayant plus besoin de sa troche, il l'enfonça dans la terre et étouffa les flammes. Il retourna face à l'entrée et retint un cri. Ce qu'il voyait ne lui plaisait pas du tout. Les portes étaient verrouillées, certes, mais il n'en restait quasiment rien... Elles avaient été forcées, détruites. L'ouverture béante ne protégeait plus de rien. Le prince n'entendait aucun son provenant de l'intérieur du château. Son cœur rata un battement.
Il rassembla ses dernières forces et rentra dans le palais. Le trou qui se trouvait au milieu de la porte, le força à escalader les soixante-dix centimètres qui la reliait au sol. Astós retomba avec agilité à l'intérieur de la demeure, son armure émettant seulement un léger cliquetis.
L'intérieur était presque intact, mais les bougies étaient éteintes, le haul n'était éclairé que par les candélabres des autres pièces. Astós scruta le sol, n'osant pas regarder devant lui, là où se trouvait la salle de réception.
Il écouta encore une fois, espérant entendre le moindre son, la moindre parole. Rien.
Il s'exhorta et leva la tête, se forçant à ne penser à rien. Il se précipita alors vers la grande salle de réception, rentra en trottinant et balaya la pièce du regard.
Cette salle de réception bondée de monde,
bondée de morts.
⁎⁎⁎
Et voilà pour la réécriture du chapitre 1 !
J'attends vos retours avec impatience :)
Si mon histoire vous plaît, n'hésitez pas à voter et à l'enregistrer dans vos listes de lecture !
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