Dannys n'en revenait toujours pas. Comment son père pouvait-il avoir eu une idée aussi stupide ? Un mariage avec Allera Midwain ? Il ne pouvait le concevoir.

Les muscles tendus et l'esprit en ébullition, Dannys se dirigeait à grands pas vers les appartements royaux, manquant de bousculer les serviteurs qui vaquaient à leurs occupations. Sans frapper, il poussa violement les portes et entra dans le boudoir de la reine.

Celle-ci était occupée à discuter autour d'une table avec la duchesse d'Elior, qu'elle avait invitée pour prendre le thé et discuter des derniers ragots sur la noblesse de Nemor. La Duchesse était une grande amie de sa mère, malgré leur écart d'âge flagrant.

En constatant qu'il faisait irruption en plein milieu d'une conversation, Dannys s'excusa platement et esquissa un pas pour faire demi-tour. La reine vit dans les yeux de son fils une lueur qu'elle n'avait plus vu depuis longtemps. Celle qu'il avait après chaque cauchemar lorsqu'il était plus jeune, ou lorsque son père lui avait annoncer qu'il devrait suivre un entraînement militaire à douze ans. C'était son petit garçon perdu et effrayé qu'elle voyait devant elle et non le futur roi. Aussi l'arrêta-t-elle avant qu'il ne disparaisse derrière la porte.

— Nous reprendrons plus tard, congédia-t-elle poliment son hôte. Si cela ne vous dérange pas Lady Valus.

La Duchesse se leva, fit une révérance à la reine.

— Aucunement, Votre Majesté, répondit la jeune femme d'une voix solennelle. Votre Altesse.

Elle salua le prince de la même manière avant de se diriger vers la sortie, le dos droit. Dès que celle-ci se referma derrière elle, laissant la mère et le fils seuls, la reine invita son fils à s'asseoir à côté d'elle en tapotant la place restante sur le canapé.

— Raconte-moi tout, somma-t-elle de sa voix de mère.

Dannys alla s'asseoir près d'elle et commença à lui raconter tout ce qu'il s'était dit pendant l'audience avec la princesse de Moriack. Edalina ne fit aucun commentaire et le laissa terminer sans montrer d'autres expressions que l'attendrissement. Elle fronça à peine les sourcils lorsqu'il évoqua le Destructeur et comprit le motif de cet émoi.

— Il veut me marier à cette étrangère, finit-il par s'emporter en se levant et s'agitant dans la pièce. Il ne m'a même pas demandé mon avis.

— Je comprends ton désarroi mon fils et j'ai énormément de peine pour toi. Cependant, tu devrais y réfléchir sérieusement. Laisse-moi terminer, exigea-t-elle alors qu'il s'apprêtait à l'interrompre. Tu es le futur souverain de ce royaume. Ce titre s'accompagne de beaucoup de sacrifices pour le bien-être du peuple !

Elle prit une profonde inspiration avant de reprendre.

— Ton père et moi ne nous sommes pas non plus mariés par amour, mais par devoir.

Dannys savait déjà tout cela. Il n'avait pas besoin que sa mère lui reparle de leur histoire. Pourquoi ne pourrait-il pas, lui, vivre avec la femme qu'il avait choisi depuis longtemps ? Qu'en était-il d'elle ?

— Que dois-je dire à Velisya ? Que dois-je lui dire ? Merci de m'avoir donné ton affection, mais je m'apprête à en épouser une autre ?

Velisya était une jeune femme de statut modeste qui travaillait au château depuis quelques années. Dannys avait rapidement remarqué cette lingère à la chevelure dorée et aux yeux d'un vert semblable aux émeraudes que l'on pouvait trouver dans le trésor royal. Il lui avait fait la cour plusieurs mois avant qu'elle ne daigne enfin lui accorder son temps et son cœur. Le roi et la reine n'avaient vu aucun inconvénient à les laisser vivre leur amour. Si leur fils pouvait épouser la personne de son choix, ils en auraient été très heureux. Malheureusement pour tout le monde, cela semblait compromis.

— Pour le moment, tu vas devoir mettre tes sentiments de côté et faire ce qu'il y a de mieux pour ton peuple.

Dannys se préparait à protester une nouvelle fois. Il ne comptait pas abandonner la femme qu'il aimait pour cette princesse. Mais la reine le prit de vitesse, une nouvelle fois.

— Lorsque tu deviendras roi, rien ne t'empêchera de prendre une deuxième épouse, voire demander l'annulation du mariage.

Une concubine ? Et puis quoi encore ? Pour quel genre de roi passerait-il ? Ce n'était pas illégal et, après tout, le roi pouvait modeler les lois comme bon lui semblait. Toutefois ce mode de vie n'était pas fait pour lui. Il l'avait déjà vu auprès lors de voyages diplomatiques, auprès des rois du sud. Comment faisaient-ils pour être infidèles et faire passer cela pour la norme ? Il choisirait l'annulation... si tant est qu'ils survivent.

Le prince remercia Edalina pour ses conseils et quitta le salon privé, encore énervé. Pourrait-il patienter jusque-là ? Qu'en penserait sa bien-aimée ? Avec plus de doutes qu'il n'en avait en sortant de la salle d'audience, il s'élança dans les couloirs à la recherche de la jeune femme.

*

* *

Les lingères du château s'étaient réunies autour du bassin pour nettoyer le linge de lit et les vêtements des nobles. Elles discutaient des derniers ragots qu'elles avaient entendues des nobles et en riaient joyeusement.

Occupée à frotter le linge des appartements royaux, Velysia les écoutaient d'une oreille distraite. Elle ne savait pourquoi, mais un pressentiment lui comprimait la poitrine depuis quelques jours. Celui-ci semblait se confirmer par les regards lancés à la dérobée par ses compagnes de tâches et les sentinelles du château sur sa personne depuis le début de la journée. Jamais aucun d'eux n'avait agi de la sorte à son égard auparavant. Pas même lorsque Son Altesse avait ouvertement admis son inclination à son égard.

Le brusque changement de ton et l'agitation autour de la jeune femme la firent sortir de ses pensées invasives. Elle regarda les autres femmes autour d'elle abandonner leur tâche pour saluer le nouveau venu d'une révérence.

Puis elle le vit, lui. Avec sa prestance naturelle et sa carrure de soldat entraîné depuis longtemps, il imposait le respect.

— Retournez à vos tâches, ordonna-t-il. Ne vous occupez pas de moi, je viens voir quelqu'un.

D'un signe de tête, il invita la jeune femme à le suivre.

Les deux amants se trouvèrent un coin reculé du château pour discuter. Dannys s'assura que personne ne traînait dans les environs ou était assez loin pour ne pas entendre ce qu'ils allaient se dire.

Velysia avait un mauvais pressentiment. Dannys n'agissait pas comme à son habitude. Il était plus distant, ses gestes étaient frénétiques et ses yeux... inquiets. Elle avait peur de lui poser la question, mais il fallait qu'elle le fasse. Sans quoi, elle doutait qu'il ait la force de le lui dire.

— Que se passe-t-il ?

La servante se maudissait pour sa voix tremblante. Elle ne voulait pas accentuer son malaise, ni même paraître inconfiante. Ce qu'elle ne savait pas à ce moment-là, c'était que le discours de l'homme qu'elle aimait allait remettre toute sa vie en question.

— Nous ne devons plus nous fréquenter, lâcha-t-il d'une voix blanche. Dans quelques jours, j'épouserai la princesse Allera Midwain de Moriack.

Ce fut la douche froide pour la lingère.