Le regard de mon père s'éclaira d'espoir

- Lola ! Vous... vous étiez en train de danser ?

- Je euh... papa... non pas vraiment... enfin si mais...

- Ca me fait plaisir tu sais que vous vous reparliez après toutes ces années.

- Qu'on se reparle ? Mais papa je...

- Ne t'en fais pas. Je ne compte pas m'incruster dans ta vie privée ma chérie. Par contre, j'ai croisé Théo en sortant, il avait l'air assez... Disons énervé, vous vous êtes disputés ?

J'ai poussé un long soupir de lassitude, cette journée ne se terminerait elle donc jamais ? A mes côtés Scott laissa échapper un rire froid.

- Oui papa, mais ne t'inquiètes pas j'ai la situation bien en main.

- Hum, si tu le dis. Bon les enfants, si vous me cherchez je serais dans mon bureau. Aiden, on se voit à 13h pour le cours des débutants ? Lola, à plus tard chérie.

Nous avons tous deux acquiescé sans un mot et, une fois mon père parti je suis partie d'un grand éclat de rire. Scott me dévisageait comme si j'étais mûre pour l'hôpital psychiatrique.

- Tu danses ici depuis sept ans ? Attends laisse moi rire ! Le cours débutant c'est quand on a sept semaines pas sept ans d'ancienneté t'as du te tromper dans les chiffres ha ha ha

- Je suis au courant de ça Princesse, seulement je ne vais pas à ce cours la pour apprendre quoi que ce soit mais pour aider ton père et finir ma formation de prof de danses latines.

Mon rire s'est stoppé instantanément. Mon père ne prenait jamais de stagiaires qui passaient leur diplôme dans son école sauf si il les connaissait très bien. A ma connaissance, la seule à jamais avoir accédé à ce poste était Isabel, parce qu'elle était la meilleure amie de ma mère et une  amie de mon père depuis plusieurs années à l'époque. Le doute s'est peu à peu immiscé en moi. Est-ce que je connaissait réellement ce type ? Si c'était le cas, je devais bien voire très bien le connaître pour que mon père l'apprécie autant. J'ai passé en revue tous les visages des personnes que j'avais connues et qui pourraient avoir cet honneur mais aucun d'entre eux ne ressemblaient ne serait-ce qu'un peu à l'homme qui me faisait face. Le nom de famille Scott ne me disait rien du tout et je ne connaissait toujours pas son prénom ce qui n'aidait pas. Lasse de réfléchir sans succès, j'ai été directe :

- Qui es tu ?

J'ai cru apercevoir une lueur de déception dans ses yeux qui très vite a fait place à de la rage.

- Sérieusement ? J'ai changé à ce point là ? Ou c'est toi qui ne m'a jamais regardé Lola ?

- Tu comptes vraiment jouer aux devinettes ?

Il a poussé un soupir et a lâché :

- Aiden. Aiden Scott.

Je l'ai dévisagé, complètement perdue, à la recherche d'un détail qui m'évoquerait quelque chose sur son visage, mais, rien. J'aurais pensé que son prénom m'aiderait mais c'était le contraire. Je ne connaissait aucun Aiden. Ce dernier a du sentir ma gêne car il a lancé d'un ton sarcastique :

- Ah ! Pardon excuse moi Princesse, c'est vrai que Prince Charmant préférait m'appeler Didi... 

- Bon dieu...

Vous êtes vous déjà pris une gifle si magistrale que, l'espace d'un instant, vous sembliez sonné ? Moi jamais, mais la phrase de l'homme qui se tenait devant moi me fit le même effet. Il avait raison depuis le début. Effectivement nous nous connaissions, ou plutôt nous nous étions connus par le passé. Je me revis une dizaine d'années plus tôt, presque désespérée à la recherche d'un partenaire de danse qui aie les mêmes ambitions que moi. Mon père avait déjà proposé à tous ses élèves du cours junior de se lancer dans l'aventure mais aucun n'avait finalement convenu pour diverses raisons. Usant alors sa dernière carte, mon père avait fait appel à un de ses collègues qui enseignait les danses latines dans une ville à quelques kilomètres de Lyon sans grand espoir. C'était notre dernière chance. Deux élèves s'étaient finalement présentés et c'est là que j'avais rencontré Hugo et son meilleur ami, Didi...

13 ans plus tôt...

Mon père entra dans la salle de danse où je m'échauffait avec un sourire jusqu'aux oreilles. Pleine d'espoir, j'abandonnais mes exercices et priai avec une légère anxiété pour entendre, enfin, une bonne nouvelle :

- Ma chérie, je crois que cette fois, nous avons trouvé des perles rares. Bon, il faudra sûrement beaucoup d'entraînement mais ces deux jeunes hommes sont très prometteurs. 

Il se tourna vers la porte et fit signe aux personnes qui se trouvaient derrière d'entrer. Le premier à pénétrer dans la salle fut un garçon magnifique au sourire ravageur qui me fit immédiatement de l'effet, il était taillé pour la danse et cela se voyait. Il s'approcha de moi avec assurance et, tel un gentlemen d'un autre temps, déposa un léger baiser sur ma main droite. J'eus un peu de mal à détacher mon regard du garçon pour m'intéresser à son camarade. A sa vue, je manquai de peu d'éclater de rire. Le contraste entre les deux danseurs était tellement marqué que je crus tout d'abord à une blague de mon père. Si le premier garçon avait l'air d'un mannequin, ou d'un danseur professionnel, le second se contentait de fixer le parquet en se dandinant nerveusement. Il ne semblait pas méchant, bien au contraire mais il n'avait certainement pas, à mon sens, la carrure d'un danseur. Il était bien trop enrobé à mon goût et je ne m'imaginais pas devoir me présenter devant un jury à son bras. Alors que ces réflexions horribles et complètement clichées se bousculaient dans mon esprit d'adolescente, mon père reprit la parole. 

- Lola ma chérie, je te présente...

Le beau jeune homme l'interrompit avec une audace qui me fascina

- Hugo, je m'appelle Hugo et voici Didi mon "camarade".

Il insista particulièrement sur le terme de "camarade" avec un certain détachement, que j'aurais pu, ou plutôt aurait du, assimiler à du mépris. Pourtant je n'y vis qu'une confiance qui manquaient à beaucoup de danseurs. Je lui offrit mon plus beau sourire, n'accordant déjà plus qu'une attention distraite à Didi. Mon père se racla alors la gorge et nous dit :

- Bien, hum, maintenant que les présentations sont faites, Lola avec qui veux tu commencer à danser ? 

Je n'hésitait qu'un tiers de secondes avant de lancer :

- Avec Hugo. Enfin si tu acceptes.

Pour toute réponse, le principal intéressé me prit dans ses bras et m'entraîna dans une rumba endiablée. Lorsque la danse s'acheva, je savais que je voulais danser avec lui en compétitions, je n'avais plus aucun besoin de chercher un partenaire : je l'avais trouvé. Mon père se contenta d'un sourire approbateur avant de me désigner Didi d'un mouvement de tête. Je le pris à part et lui murmurai à l'oreille :

- Papa, je ne veux pas danser avec lui je sais déjà qu'il ne pourra pas être meilleur qu'Hugo. On a un lien vraiment spécial, s'il te plaît, je suis fatiguée. 

- Lola, s'il te plaît ! Fais au moins un effort ! Danses avec lui et ensuite tu feras ton choix.

- Papa...

Le regard de déception que me lança mon père me fit mal au cœur mais je ne revins pas sur ma position. Il se détourna alors et prit Didi à part, probablement pour lui expliquer la situation pendant qu'Hugo me faisait à nouveau faire quelques pas de danses. 

La sensation d'une larme roulant sur ma joue me sortit de mes souvenirs. J'avais beaucoup de mal à me dire que l'homme qui se tenait devant moi et qui, en toute honnêteté était beau à se damner, était bel et bien la même personne que le garçon trop timide et peu avenant qui s'était présenté pour être mon partenaire. Je me souvenais parfaitement que pendant un an, il venait assister à toutes nos séance d'entraînement avec Hugo et m'invitait parfois à danser. Mais je ne lui prêtait pas plus d'attention que s'il avait été un meuble.

- Alors Princesse, on a perdu sa langue ?

- Je... Aiden...

- Non, ne m'appelle pas comme ça.

J'encaissai le coup et le laissait poursuivre. Manifestement il en avait besoin, quand à moi, je manquai de mots.

- C'est peut être mesquin de ma part mais tu ne peux même pas t'imaginer la joie que j'ai pu éprouver quand j'ai appris pour l'accident de mon pseudo meilleur ami. Bien évidemment tu as réagi de manière prévisible, comme toujours, tu es entrée dans son jeu. Il avait déjà bousillé ta vie mais tu t'es dit que te la pourrir encore plus en te privant de la seule chose qui te rendait heureuse te permettrait de le garder près de toi, pas vrai ? Tu t'es bien trompée. Mais la vérité c'est que tu aurais fait n'importe quoi, et tu ferais encore n'importe quoi aujourd'hui pour le récupérer parce que tu es dingue de lui. 

Personne n'avait jamais osé me parler ainsi. Personne n'avait jamais été si dur avec moi à ce sujet. Et pourtant, de tout ce qu'on m'avait dit au sujet d'Hugo, les phrases que je venais d'entendre étaient celles qui se rapprochaient le plus de la vérité...

                              A suivre...