-          Non mais sérieusement Stacy, il y a forcément quelque chose qui cloche chez toi. Quoi ! Ne me regarde pas avec ces yeux-là ! Tu sais bien qu'il n'y a que moi qui oserai être franche avec toi, Ednaëlle pense la même chose mais elle ne le dira jamais. On est tes plus proches amies depuis qu'on a 7 ans, on te connait sur le bout des ongles et vice versa alors quand je dis qu'il y a quelque chose qui ne va pas, c'est que c'est vrai.

Kathie faisait partie de cette caste de personnes qui disaient toujours ce qu'elles pensaient haut et fort et avec l'assurance d'avoir toujours raison. Avec le temps, ses amies s'étaient faites à son côté grande gueule même si dans des moments comme celui-là, elles avaient envie de lui faire ravaler ses paroles.

-          Tu fais vraiment tout dans l'excès Kathie. Bon d'accord, j'admets que c'est assez étrange mais Stacy est encore jeune. Ma tante Stéphanie s'est mariée à 33 ans et elle était vierge.

Ednaëlle était la fille qui évitait les conflits à tous les prix, un caractère qu'on pouvait prendre pour de la passivité alors que c'était juste parce qu'elle avait trop la flemme de se confronter aux gens.

-          Désolée de te le dire mais ta tante n'est pas vraiment une beauté et elle a un fichu caractère alors ce n'est pas étonnant qu'elle ait été encore vierge à cet âge-là mais Stacy, elle, est magnifique, a un beau corps et est la fille la plus bien élevée que je connaisse. Et ce n'est pas pour t'envoyer des fleurs ma chérie mais tu es vraiment une crème. Donc, explique-moi pourquoi aucun homme n'a reussi à faire dégeler ton petit cœur. Tu viens d'avoir 23 ans, nom de Dieu ! Est-ce que tu sais que Ronald me parle déjà de mariage ?

L'habitude de cette fille à souffler le chaud et le froid faisait qu'on ne savait jamais sur quel pied danser avec elle.

-          Tu as toujours été précoce Kathie, ce n'est pas étonnant. Moi, je ne suis pas encore prête pour le mariage. Ce n'est pas un truc à prendre à la légère, juste parce qu'on est fou d'amour car cette folie ne dure qu'un temps et que le mariage c'est pour toujours.

-          Tu devrais peut-être laisser la principale concernée répondre et arrêter de te faire l'avocate du diable. On parle depuis tout à l'heure mais j'ai l'impression que madame se fiche pas mal de ce qu'on dit. Quoi ? Madame se juge au dessus de notre discussion triviale. Et arrête donc avec ce sourire, tu sais qu'elle m'agace.

Stacy prit une profonde inspiration tout en se maudissant d'avoir rappliqué chez Ednaëlle au lieu de rester chez elle à terminer son mémoire. Elle avait eu envie de souffler et donner du répit à son cerveau qui menaçait de se transformer en bouillie mais maintenant elle regrettait déjà ses bouquins et ses cahiers. Ce n'était guère la première fois qu'elles lui posaient la question et elle avait habilement évité la question les fois passées. Maintenant, elle sentait qu'elle avait assez donné. De plus, elles n'étaient pas les premières à le lui demander. Tous ses proches avaient plus ou moins cherché à comprendre pourquoi elle était toujours célibataire. Même sa mère qui avait retiré une certaine fierté d'avoir une fille aussi sérieuse qui ne se concentrait que sur ses études commençait à s'inquiéter. Et elle ne savait jamais quoi les répondre parce qu'elle-même ne pouvait l'expliquer clairement.

-          Que voulez-vous que je vous dise ? Que j'essaie de vous expliquer à vous pourquoi à mon âge, je ne suis encore jamais sorti avec personne. Vous êtes sûres que vous allez bien ? Moi qui croyais que la réponse serait plutôt évidente.

-          Je ne vois pas de quoi tu parles.

-          C'est simple pourtant. La gente masculine me délecte. Eux, leur orgueil de mâle, leur privilège, leur arrogance, tout ce qui font d'eux ce qu'on appelle le sexe fort.

-          Donc tu généralises. Moi qui croyais que tu étais au dessus de ça. Toi qui n'aime pas les généralités sur les femmes, tu sais que ça s'applique aussi pour l'autre genre. Tous les hommes ne sont pas des ordures, j'admets que bon nombre d'entre eux ont une moralité plutôt discutable mais il y a des exceptions.

-          Et tu vas me dire que ton cher Ronald fait partie de cette catégorie ?

-          Ronald est un idiot mais ça ne fait rien car il a le cœur tendre et que j'en fais ce que je veux.

-          Je vais faire l'impasse sur la morale problématique de ta remarque pour appuyer ce que tu viens de dire. On retrouve un peu de tout dans le genre masculin. Tu trouveras des cretins, des violents, des brutaux, des menteurs, des manipulateurs mais tu trouveras aussi des gars géniaux, loyaux, tendres, compréhensifs et j'en passe.

-          Ouah ! Vous vous faites donc les ferventes défenderesses des hommes, je ne crois pas qu'ils aient besoin de vous pour se défendre. Ils n'ont jamais besoin de nous pour ce genre de chose. Et je suis parfaitement au courant qu'il existe des gars bien mais si peu par rapport aux salauds qui existent dehors. De toute façon, ce n'est même pas la raison principale de mon célibat.

-          Ah bon, c'est quoi alors ?

Puisqu'elles avaient besoin de quelque chose à se mettre sur la dent, autant qu'elle y aille franchement. Puis ce petit interrogatoire lui était bénéfique, lui permettant de faire le tri dans ses pensées et d'enfin commencer à comprendre l'étrange fonctionnement de son cerveau.

-          Les relations de couple ne m'intéressent pas tout simplement. Je n'ai pas envie d'avoir un petit-ami, qu'on se dise des trucs mielleux et qu'on soit complètement gaga l'un de l'autre. Ce genre de chose m'indiffère et pour être franche, elle me donne plutôt envie de vomir. Je n'ai pas envie de confier mon bonheur à quelqu'un d'autre et d'en être dépendante. C'est franchement une culture malsaine que la société et le cinéma américain se sont amusés à répandre. Les relations de couple ne devraient pas être une obligation mais plutôt une option.

-          Mais qu'est-ce que tu me racontes ? C'est quelque chose de naturel, inscrit dans nos gènes. Même les animaux se mettent en couple et toi tu me chantes ton baratin. Je savais que le féminisme tuerait ta féminité un de ces jours.

Stacy secoua la tête de droite à gauche, l'air navré et lasse. Habituellement, elle aurait été complètement révoltée par la remarque sexiste mais elle était arrivée à un point où elle n'était plus à ça prêt.

-          Tu t'entends parler ? Je ne sais pas si je dois te gifler pour ta stupidité ou te plaindre. Ce genre de discours me fait comprendre que tu ne connais quasiment rien du féminisme. Je vais te dire ce que c'est ; le féminisme est le mouvement qui a permis que tu aies accès à la même éducation que nos congénère masculins, que tu puisses porter ce que tu veux, en parlant des pantalons et des mini-jupes même s'il y a du progrès à faire de ce côté-la et que tu puisses faire carrière dans n'importe quels domaines en tant que femme. Oui il y a quelques nuances car certaines personnes sont tombées dans le radicalisme, ce qui est normal vu que les expériences et les compréhensions des individus varient mais ce n'est en rien une secte de femmes lesbiennes misandres qui sirotent du vin en crachant sur le dos des hommes. Ce dernier point, on n'a pas besoin d'être féministe pour le faire. Et pour en revenir à notre discussion, le fait que je sois féministe n'est en rien la raison de mon célibat, il y contribue mais ce n'est en rien la raison principale.

-          Et donc, tu vas rester toute ta vie ainsi ?

Le ton condescendant de Kathie le fit sourire malgré elle, pourtant la situation dans laquelle elle se trouvait n'était pas drôle. Subir cet interrogatoire intolérant de la part de ses amies n'était pas une partie de plaisir mais Stacy pouvait se targuer d'avoir acquis une certaine sagesse au terme de ses 23 ans de son existence.

-          Peut-être, je n'en sais rien. En tout cas, pour le moment j'ai d'autres priorités comme me bâtir une carrière ou encore prendre soin de moi.

-          Et le sexe ? chuchota Ednaëlle presqu'effrayée à l'idee d'une existence sans interaction sexuelle. Elle venait de découvrir la chose et ne pouvait plus s'en passer.

-          Pour le moment, ça va. Si plus tard j'ai envie de l'expérimenter, vous serez les premières à etre au courant.

Il y eut un petit silence pendant lequel Ednaëlle et Kathie échangèrent un regard consterné, prequ'outré sous les yeux amusés de leur amie qui les considéraient avec indulgence.

-          Est-ce que tu ne serais pas lesbienne, finit par demander Kathie sur un ton hésitant.

Stacy haussa les épaules avec nonchalance, un étrange sourire sur les lèvres qui fit froid dans le dos à ses amies. Cette question revenait souvent sur les lèvres de ses proches et même elle, avait fini par se le poser mais ce n'était guère une question d'orientation sexuelle, elle n'était juste pas intéressée par les relations de couple.

-          Je ne sais pas. Et même si c'était le cas, je ne compte  toujours pas me mettre en couple.

Ednaëlle la regarda mi-impressionnée, mi-effarée devant son ton résolu et implacable.

-          Tu envisages ça avec un tel calme Stacy. Tu es définitivement une fille étrange.

-          T'occupe pas d'elle, quand elle se rendra compte qu'elle risque de finir seule quand on sera toutes mariées, elle se dépêchera de se trouver un mec.

Et voilà, la remarque qu'elle craignait et évidemment de la part de Kathie la grande gueule qui disait ce qu'elle voulait sans se préoccuper des sentiments d'autrui. Elle aurait vraiment du rester chez elle au lieu de venir ici. Peut-être qu'il était temps qu'elle prenne ses distances avec des amies qui ne la comprenaient pas et qui ne faisaient pas l'effort d'accepter qui elle était. C'était aussi ça, de grandir.

-          Kathie, c'est vraiment un plaisir de se sentir soutenue par ses meilleures amies. Tu es vraiment une perle. Maintenant, vous m'excusez mais j'ai mon mémoire à finir.

Note d'auteure

Ah, cette histoire en particulier, j'y tenais beaucoup. Ça parle d'un sujet qui me tient beaucoup à coeur!

Alors qu'en penses-vous? Cette pression de se mettre en couple, de tomber amoureux est-elle saine?