Première soirée
Victoria l'avait baratiné. Voila ce que Manuela ne cessait de se répéter, prostrée dans le coin où elle avait trouvé refuge. Sa cousine et plus proche amie avait vendu la chose comme l'événement du siècle, un moment crucial dans la vie de la jeune femme, une étape qu'elle se devait de franchir afin d'être reçue dans la cour des grands !
Après tout, une fête dans les hauteurs de Laboule chez des bourgeois mulâtres n'était pas n'importe quel événement. Mais tout ce qu'elle avait découvert était des jeunes dépressifs portés sur l'alcool et la chair qui essayaient de jouer aux adultes parce qu'ils avaient 20 ans et qu'ils étaient plus ou moins libres de faire ce que bon leur semblait de leur corps sans répréhension.
Manuela était déçue de ce qu'elle avait découvert. Dire qu'elle risquait un concert de chapelets pour cette soirée. Elle avait profité que sa famille parte en veillée de nuit à leur église, prétendue être malade presqu'à l'article de la mort pour se retrouver dans cette pièce sombre où elle risquait à tout moment de tomber sur un des fêtards qui n'avaient pas caché les projets qu'ils avaient en tête pour elle. Elle grimaça de dégout à cette idée.
Ҫa ne faisait qu'à peine 3 jours qu'elle était célibataire et son désir de vengeance en sautant sur le premier venu était retombé comme un soufflée pour être remplacée par des remords et une profonde mélancolie. La trahison de son ex avait été humiliante surtout que sa mère avait déjà commencé à parler fiançailles. Elle ne voyait pas comment elle avait pu se tromper à ce point.
Fils de pasteur, bien élevé, ayant fréquenté les grandes écoles de la capitale, nouvellement embauché dans une importante entreprise de télécommunication de la place. Il cochait toutes les cases. Sur le papier, il était juste parfait. Une perfection factice qui avait aveuglé le jugement de Manuela. Elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même et à sa naïveté presqu'enfantine de s'être fait berner ainsi car Richard (son ex) ne l'avait pas trompé avec une autre dont il aurait été tombé amoureux, elle aurait pu le comprendre. Mais non, il avait couché avec toutes les jolies filles disponibles qu'il croisait au point d'engrosser deux en même temps, tout simplement parce qu'il le pouvait. Juste parce qu'il en avait l'opportunité.
Et dire qu'il avait toujours refusé de la toucher prétendant qu'il voulait attendre le mariage. Elle avait vu ce choix comme la preuve d'une foi inébranlable et d'une force de caractère à toute épreuve alors que non, elle était juste la petite conne qu'il comptait épouser parce qu'elle était facile à berner et à manipuler. Quelle idiote elle a été.
Un cliquetis la fit brusquement lever la tête en direction de la porte. Quelqu'un s'apprêtait à entrer. Le cœur battant la chamade, elle ravala sa salive, incertaine de comment elle allait expliquer sa présence dans cette pièce. Mortifiée par une conversation qu'elle avait surprise entre l'hôte de la soirée et sa bande d'amis à son propos, elle avait fui et s'était perdue dans les dédales de couloir de l'immense villa et avait ouvert la première porte non-verrouillée à sa portée.
Et maintenant, elle regrettait son coup de sang. La porte s'ouvrit doucement et une silhouette floue apparut à l'entrée. Manuela était incapable de déterminer si elle appartenait à une femme ou un homme. Même l'éclairage du couloir ne put l'aider mais son vis-à-vis put la voir avec netteté.
- Mais qu'est-ce que j'ai là ? Mon frère aurait-il lancé un cache-cache pour se divertir ?
La voix était indubitablement féminine et quand l'inconnue actionna l'interrupteur, elle put la distinguer clairement. Grande, mince, vêtue d'une chemise masculine sur un jeans slim, les pieds nus, les ongles de ses orteils d'un bleu électrique jurant avec le sol en marbre blanc strié d'un gris argenté, elle donnait une apparence décontractée qui la détendit sur le champ.
- En fait j'avais besoin d'un endroit où me refugier un moment... J'allais partir de toute façon.
Elle ajouta cela de manière précipitée alors qu'elle commençait à se lever.
- Je ne te chasse pas, tu as l'air... claquée. Ces abrutis dehors ne t'ont pas touché quand même ? ajouta la jeune fille sur un rempli de soupçon.
- Non pas du tout. Je ne les aurais pas laissé l'occasion de toute façon, je sais me défendre.
Son interlocutrice eut un sourire indulgent devant sa tentative de bravade avant de s'avancer dans la pièce. Manuela put enfin se rendre compte du but de la pièce où elle se trouvait et pourquoi elle ne comportait pas de fenêtre. Elle se trouvait dans une chambre noire.
- Tu es photographe ? demanda-t-elle les yeux rivés sur la ligne de photographie étendue sur un fil tel du linge et les divers matériels correspondant à une chambre noire.
- Je voudrais bien, un jour. Pour l'instant, ce n'est encore qu'un passe-temps, je suis encore terminale et j'ai prévu une année sabbatique après mon secondaire pour explorer de nouvelles choses. C'est mon père le photographe, il me donne l'autorisation d'utiliser cette pièce. Quel est ton nom ?
Terminale ? Est-ce que ça voudrait dire que cette fille était plus jeune qu'elle ? Elle faisait tellement plus mature avec son regard franc, l'assurance qui émanait d'elle et la sollicitude presque maternelle avec laquelle elle le considérait. Manuela en fut terriblement embarrassée de paraitre aussi pathétique.
- Manuela... Et toi ?
- Iris. Tu es une amie de mon frère ?
- Non, je suis plutôt l'amie de la petite-amie d'un ami, expliqua Manuela avec un petit sourire, consciente de l'imbroglio.
- Ah je vois. Je suppose que c'est ta première soirée. Ton amie ne t'a pas prévenu de pourquoi elle t'a amené avec elle ? Il leur faut de la chair fraiche à corrompre, je veux bien lui laisser le bénéfice du doute en supposant qu'elle n'était pas au courant. Mais c'est le sort qui échoue à celles qui ne sont pas accompagnées par quelqu'un et par quelqu'un je veux dire, un mec.
Le sang de Manuela se glaça dans ses veines et elle sentit un froid immense l'envahir, paralysant ses membres. Les déclarations d'Iris étaient certes un brin surréaliste mais cela corroborait la conversation que Manuela avait entendue. Pourtant, elle se refusa à y donner du crédit, une partie d'elle voulant toujours croire en l'humanité.
- Non... Victoria n'aurait jamais...
Etait-elle sûre ? Dernièrement, elle s'était rendue compte qu'elle ne pouvait se fier à personne.
- Oh tu es une amie de Victoria, la nouvelle copine de Carlos. Je crois que tu devrais changer de copine, cela fait un moment qu'elle promettait à mon frère une petite vierge à dépuceler, désolée de le dire comme ça. D'habitude, je n'aime pas les commérages, ça conduit inévitablement à des drames mais tu m'as l'air d'être quelqu'un qui a été entrainé dans un traquenard sans s'en rendre compte. Hors de question que mon frère brise une énième jeune fille dans son petit jeu mesquin avec la gente féminine.
La jeune fille reçut cette salve d'informations avec stoïcisme, s'habituant peu à peu à ce sentiment de désillusions. Encore quelqu'un en qui elle avait placé toute sa confiance qui venait de la décevoir de la pire des manières. Victoria était non seulement sa plus proche amie mais aussi sa cousine. Elles avaient pratiquement grandi ensemble et bien qu'ayant des caractères diamétralement opposés, elles arrivaient plutôt bien à s'entendre... Non, c'était faux.
C'était plutôt Manuela qui avait passé son temps à faire des concessions pour ne pas se brouiller avec elle, comme elle le faisait avec tout le monde. Une codépendance destructive qui lui avait coûté son estime pour elle-même. Victoria n'avait jamais été une vraie amie, la preuve, au lieu de la soutenir face à la trahison de son fiancé, elle a été l'une des premières à se moquer de sa naïveté. Les vrais amis ne se comportaient pas de cette manière. Leur histoire d'amitié n'était due qu'à leur lien de sang et leur enfance en commun.
- Pourquoi tu me dis tout ça ?
- Par solidarité féminine... Mais aussi par culpabilité, la derniere fille à qui mon frere a fait ce coup-là a avalé de l'eau de javel et a failli y passer. Je n'ai rien pu faire pour elle car je me suis dit qu'elle était assez grande pour se gérer mais ça ne marche pas comme ça. Quand on est face à un prédateur, peu importe notre âge ou notre intelligence, on finit souvent par tomber sous leur griffe. Et ce qui me fait le plus rager, c'est que ce cretin n'a rien appris de ses erreurs.
Manuela déglutit terrassée par l'horreur de la situation dans laquelle, elle venait de tomber. Elle avait envie de pleurer mais ses glandes lacrymales probablement asséchées par la semaine qu'elle venait de passer à pleurer ne répondaient plus. Elle encaissa donc le choc avec un visage serein alors qu'à l'intérieur, elle était encore plus brisée qu'auparavant. Elle n'avait qu'une envie, se mettre en position fœtale et se couper du monde avec de la musique dans ses oreilles pour ne plus penser.
- Il n'y a donc aucun homme digne de ce nom ? geignit-elle d'un ton las.
- Je crois bien que non... Enfin, je n'en ai pas encore rencontré un, du moins.
Le sourire d'Iris quand elle prononça ces mots la fit tiquer.
- Et ça ne te fait rien ?
- Pas vraiment, admit la jeune fille en haussant les épaules avec désinvolture. Les hommes, ce n'est pas mon truc, je préfère les filles.
Manuela se pétrifia devant cet aveu fait d'un ton indifférent. Son éducation religieuse et conservatrice lui dictait de partir sur le champ pendant que sa raison lui disait que c'était sans doute la seule personne saine d'esprit de cet endroit. Elle regarda Iris un peu plus attentivement, son visage de poupée, la crinière bouclée qui l'encadrait, elle était vraiment une jolie fille.
Appuyée nonchalamment contre le mur près de la porte, les mains croisées sur sa poitrine, elle était le portrait même de la désinvolture, même si son regard franc et direct trahissait son serieux. Manuela prit une inspiration, se défaisant mentalement une à une de ses chaines avant de déclarer.
- Ҫa aurait sans doute été plus simple pour moi si j'aimais les filles aussi.
- Oh, je ne crois pas non. Ce n'est pas tous les jours la fête d'être comme moi tu sais mais c'est sûre que les filles sont plus fiables que les garçons. Tu as l'air d'être sur le point de t'effondrer, viens je vais te ramener...
- Tu ferais ça, répéta la plus âgée partagée entre la gratitude et l'incompréhension.
- J'étais sur le point de partir, je n'aime pas rester dans les parages quand mon frère organise ses sauteries.
Elle hocha la tête avec empressement se retenant pour ne pas baiser les pieds de sa sauveuse. Au moins, il existait toujours des personnes dignes de confiance.
- Tu as une voiture ?
- C'est celle de mon père mais il ne dira rien. Je l'utilise tout le temps...
Elles s'en allèrent tout en discutant tranquillement comme des copines de longue date, ne se doutant pas une seconde que c'était le début d'une longue et belle amitié.
Note d'auteure
Un peu d'arc-en-ciel. Honnêtement, c'est un sujet que j'avais peur d'aborder en débarquant sur Wattpad mais maintenant je m'en fous. Je ne vais pas brider pour plaire à des ignorants.
Alors Manuela?
Iris?
La trahison de la cousine?
A bientôt !!!
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