𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐗𝐗𝐈𝐕
A R T D U
— C R I M E —
TOUT CELA N’EST peut-être qu’un rêve.
Debout dans l’encadrement de la porte, je peine à croire ce qu’il se passe. Depuis plusieurs heures maintenant, je tente de comprendre, appréhender la situation. Car, même si je vois bien les différentes choses se dérouler sous mes yeux, je crains encore, à chaque instant, de battre des paupières et réaliser que tout cela n’était qu’un rêve.
Devant moi, une pièce large s’étend. Le sol en bois tranche avec les murs blancs. Quelques armoires et commodes occupent l’espace mais mon regard est rivé sur le lit à baldaquin. Ou plutôt, la silhouette y gisant.
Ces dernières années, je les ai passé à enfouir ma douleur, feindre que la mort de ma fille n’avait jamais eu lieu pour la surmonter. Mais celle-ci m’a marquée. Je me suis réveillée de mon coma, une partie de moi fanée.
Le Corbeau Blanc est né dans les décombres de cette explosion. Ce rapace violent et parfois même vorace, ce cerveau à l’intelligence développé, cet animal aux serres de prédateur et instinct de chasseur. Celui qui ne laisserait aucun répit à ses ennemis.
Ce parrain terrorisant le monde, ce nom faisant trembler les nations… Il est celui d’une femme que j’ai été contrainte de devenir quand (T/P) est morte, suivant Lila.
Et maintenant, après tout ce temps, elle est devant moi.
Je peine à croire que ce soit réel. Mais il s’agit pourtant de mon enfant. Avec quelques années de plus, des joues plus aussi gonflées et un regard plus conscient de ce qu’il se trame autour d’elle mais oui, Lila est là.
Vivante.
— Qu’est-ce que tu fais, madame ? résonne soudain sa voix.
Entre les couvertures, je distingue sa silhouette quand elle se frotte les yeux d’un air hagard. La lumière venant du couloir dans lequel je me tiens doit la déranger. Mais je ne peux pas m’empêcher de la regarder, l’admirer.
Un sourire me prend et je tente d’ignorer le pincement au cœur qui me prend quand je réalise quel mot elle a employé pour m’appeler.
— Eh bien, je lâche en souriant, je me demandais si tu arrivais à dormir ?
Secouant la tête de droite à gauche, elle s’assoit. Je me suis doutée que la nuit serait compliquée pour elle. Après avoir livré Foucault, nous avons tous les quatre pris place dans la fourgonnette et, dans un silence tétanisant, sommes rentrés à la maison.
Sans perdre un instant, j’ai mené Lila dans sa chambre et l’ait aidée à se préparer à dormir. Je n’ai pas laissé à Livai le temps de la voir mais il ne s’en est pas plaint.
Et, depuis, je ne l’ai pas quittée des yeux.
— Tu veux que je vienne te rejoindre ?
Elle acquiesce et je ne pers pas un instant. Grimpant sur le lit, je me mets en tailleur au bout de celui-ci et la regarde d’un air tendre.
— Tu as vu des trucs marquants, là-bas, je suppose ? je demande doucement.
Elle hausse les épaules.
— J’étais souvent assise dans ma chambre. Et je mangeais beaucoup de sandwichs.
— Vraiment ? je demande en souriant. Ils ont rien dit ou fait de mal ?
Elle secoue la tête de droit à gauche et un soupir de soulagement traverse mes lèvres. Posant une main sur sa joue, je sourie :
— Bien, très bien, mon ange. C’est une excellente chose.
Quelques instants, j’observe ses yeux traversés d’incompréhension. Puis, elle brise le silence s’installant peu à peu entre nous :
— Madame ?
Mes lèvres se pincent.
— Oui ?
— Il est où mon papa ? Il m’a beaucoup manqué, lance-t-elle.
Mes yeux s’imbibent de larmes. Le temps d’un instant, une colère me traverse. Je suis là, maintenant, prête à m’occuper d’elle tandis que son bon à rien de géniteur l’a laissée se faire kidnapper. Mais à l’instant où je vois son air inquiet, je pousse un soupir.
Cette histoire la concerne, soit. Cependant elle n’a pas à en pâtir.
— Il… Il est très fatigué parce qu’il t’a beaucoup cherchée, tu sais ? je murmure.
— Alors il est parti dormir ? demande-t-elle. Sans me voir avant ?
La peine dans ses yeux me sert le cœur. Je secoue la tête.
— Non, pas du tout, ma belle. Il est parti manger, histoire de reprendre des forces et comme il croyait que tu dormais, il voulait pas embêter sa princesse.
Elle acquiesce sans cesser d’afficher une mine contrite. Je tente d’abord d’ignorer celle-ci mais, bien que ma colère envers lui soit grande, je ne peux me résoudre à la laisser ainsi.
— Tu veux que je l’appelle ?
Aussitôt, ses yeux s’écarquillent et un large sourire fend son visage. Une vive jalousie s’empare de moi à cette vision. C’est stupide, je le sais. Mais lorsqu’elle m’a vue, moi, elle s’est contentée de froncer les sourcils parce que j’étais assise sur son père. Et, sous le choc, je n’ai pas bougé durant de longs instants. Sieg est celui qui l’a mise dans la voiture et m’y a conduite, par la suite.
C’est injuste. S’il m’avait laissé une chance, elle serait dans mes bras, à l’heure actuelle, riant doucement et se sentant rassurée par ma présence.
— Tu ferais ça ?
— Mais bien sûr, je me force à sourire en frottant le sommet de son crâne affectueusement.
— Merci, madame ! C’est trop cool !
Un faible rire franchit mes lèvres. Je serais bien restée quelques secondes encore, là. Mais elle déborde d’excitation et je comprends que je ne peux pas la faire attendre. Alors, me relevant, je lui envoie un énième sourire avant de rebrousser chemin.
Seulement, une fois arrivée sur le seuil de la porte, sa voix retentit à nouveau.
— Et, madame ?
— Oui ? je réponds en me retournant.
Assise en tailleur, elle me fixe quelques instants. Ses sourcils se froncent légèrement avant qu’elle ne penche la tête sur le côté.
— T’es qui, en fait ?
Mon cœur rate un battement et mon sang se glace dans mes veines. Les yeux écarquillés, je sens ma respiration se couper un bref instant avant que, difficilement, je reprenne contenance. Et, sans un mot, je tourne les talons.
Mes pas se font lourds sur le parquet. Comme si une lourde chaine cernait mon mollet, j’avance lentement le long du couloir menant au salon. Et, lorsque je franchis l’arcade donnant sur la pièce sertie d’un ilot central marquant l’accès à la cuisine ouverte, deux paires de yeux se tournent vers moi.
Assis sur un fauteuil, Sieg boit une bière en pianotant sur son ordinateur tandis que, debout devant une tasse de thé au bar, Livai jette un coup d’œil par-dessus son épaule.
J’évite soigneusement tout contact visuel, m’efforçant de ne rien laisser voir de ma peine et maintenir une posture glaciale quand, passant devant, je lâche simplement :
— Ta fille veut te voir.
Quelques instants, ils continuent à me fixer. Puis, Livai s’en va enfin. Sa silhouette quitte la pièce cependant, à présent debout face à la tasse de thé du noiraud, je sens le regard du blond sur mes omoplates.
Depuis que nous avons retrouvés Lila, il veut me parler. Je le sais, le devine, le sens, le prédis. Il a envie de discuter de la situation.
Je me suis jurée, dans le fourgon durant les heures nous séparant du retour ici, que je garderai la bouche close et ne lui confierai rien. Que je serais muette comme une tombe, ne laissant rien voir de mes sentiments.
Car le Corbeau Blanc ne dévoile jamais rien d’elle-même.
Cependant mon cœur est douloureux. Les ailes immaculées s’écartent, laissant place à celle que j’étais, auparavant. Celle qui ne fait pas fie de ses émotions, mais les endure. Celle qui a besoin de se confier.
Alors, tandis que son regard brûle ma nuque, je lâche simplement d’un ton froid :
— Mon enfant vient de me demander qui je suis.
A l’instant où ses mots franchissent mes lèvres, je réalise pleinement ce qu’ils signifient. Ma très chère et tendre enfant, l’amour de ma vie, le fruit de mes entrailles…ne ressent absolument rien quand elle me voit. Car à ses yeux, je ne suis pas sa mère, non.
Juste… « Madame ».
Alors, comme si je tentais de me convaincre que ce n’est pas si grave que cela, je répète :
— Mon enfant vient de me demander qui je suis.
Mais cette fois-ci, ma voix se fait aigüe et perçante, étranglée par ma gorge se serrant. Des larmes imbibent mes yeux et je réalise cela quand l’une d’entre elles coule sur ma joue.
— Mon enfant…
Mes bras tremblent. Je ne parviens même pas à aller jusqu’au bout de ma phrase.
Soudain, un torse chaud se presse à mon dos et deux bras épais s’enroulent autour de mon buste. Sans même réfléchir, je me laisse aller contre Sieg, abandonnant toutes les forces. Mes jambes cèdent sous mon propre poids mais il me tient fermement.
La tête basculée en arrière, je fixe le plafond que je ne vois même pas, les larmes floutant mon champ de vision. Des sanglots compriment ma cage thoracique, la secouant sans que je ne parvienne à les contrôler.
Le temps d’un instant, je songe qu’il est l’ennemi, que je ne devrais pas flancher comme ça devant lui.
Mais sa chaleur m’apaise et, après le regard étonné de Lila, sa question sur mon identité, il me semble que cela m’apporte un peu de réconfort.
— Chhhhhuuut, murmure-t-il en posant le menton sur mon crâne, me berçant légèrement.
Une pleure bruyante franchit mes lèvres.
— Je croyais qu’elle était morte…
— Je sais, je sais…
— Je… Je voulais juste… Elle est là mais… En même temps… Elle est pas là… Et…, je hoquète, les larmes dévalant mes joues à une vitesse fulgurante. Je… Mon bébé…
Doucement, il s’abaisse. Bientôt, nous nous retrouvons assis sur le sol. Ses jambes encadrent les miennes, son torse presse mon dos et nos joues sont collées l’une à l’autre. Je peux sentir sa barbe frotter ma peau. Fermement, il me tient, murmurant des onomatopées réconfortantes.
Et même si cela est apaisant, cela ne me calme pas pour autant. Car ma douleur est insoutenable.
— Si tu veux pleurer, pleure. Si tu veux crier, crie. Si tu veux juste qu’on reste comme ça, ne bouge pas. Quoi que tu veuilles, demande-le ou fais-le. Demain, j’aurais tout oublié.
Des sanglots secouent ma poitrine.
— Je t’assure que tu peux te laisser aller.
Sa sincérité me percute de plein fouet. Je sais qu’elle n’est pas factice, qu’il compte réellement m’aider. Alors, acquiesçant, je laisse les larmes dévaler mes joues. Des sanglots secouent ma poitrine et je n’en ai plus rien à faire de l’Annuaire Rouge, de son piège, sa prise d’otage.
Il est là. Un pilier sur lequel je peux me reposer.
De longues minutes durant, je pleure, hoquetant. Mais, bientôt, les larmes se tarissent ainsi que mes sanglots. Un mal de tête me prend mais mes joues s’assèchent peu à peu. Contre moi, silencieux, Sieg ne pipe mot dans un premier temps.
Puis, il brise le silence d’une voix douce :
— Je pense qu’il est l’heure d’aller se coucher. Viens.
L’un de ses bras se glisse sous mes genoux et l’autre, sous mon dos. Pressée contre lui, je le laisse se relever en m’emportant dans son geste. Calmement, il emprunte le couloir puis les escaliers. Malgré moi, je lève les yeux en direction de la chambre de Lila.
Au même instant, Livai en sort. Son regard croise le mien et il cesse de marcher. Je ne peux pas lire l’expression traversant ses traits, il est trop énigmatique. Mais je ne m’en préoccupe pas. Sans doute jubile-t-il à l’idée qu’elle ne me reconnaisse pas.
Détournant les yeux, je romps le contact visuel quand Sieg emprunte les escaliers. Mon corps tressaute au rythme des marches mais j’atteins bientôt l’étage. Là, les bras enroulés autour de Sieg, le corps encore fatigué par mes sanglots, je murmure sans vraiment y réfléchir :
— Reste avec moi, cette nuit. Je veux pas dormir seule.
Franchissant le seuil de la porte de ma chambre, il marque un temps d’arrêt avant de répondre :
—Tout ce que tu voudras.
2012 mots
petit rapprochement et
beaucoup de tristesse
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