𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐎𝟐
𔘓
C H A P I T R E 2
𔘓
Dans un grognement, je me cambre avec force et laisse les os de mon dos craquer. Tournant la tête, je croise le regard brun d'Hermès, assis sur le tapis de mon salon. La robe noir et brune du doberman forme un contraste avec le tissu vert ornant mon parquet.
Un sourire étire mes lèvres quand je penche la tête sur le côté, l'observant avec amour.
Aussitôt, il se lève. En quelques pas pénibles, il se traine jusqu'à moi et s'assoit à mes pieds. Je descends de mon fauteuil et me place en tailleur sur le sol, laissant sa tête se poser avec pénibilité sur mon genou.
Ma gorge se serre en voyant ses mouvements si raides.
— Je suis tellement désolée, mon cœur, je chuchote en caressant sa tête.
Il y a six mois, je me suis élancée sur les traces d'un homme politique afin de boucler un article des plus incendiaires. Mon enquête, visant à démontrer que son soudain amour de la communauté LGBT+ ne visait qu'à s'attirer des votes et était vide, — étant donné ses affaires avec des pays condamnant encore à mort l'homosexualité ainsi que la transidentité — m'a menée à un bar où il cuvait régulièrement.
Dans le sous-sol de cet endroit avaient été organisé nombre de combats de chiens, pourtant illégaux. Un coup de téléphone à la police plus tard, les pauvres animaux étaient récupérés.
Sous le nom de S. Ralyk, j'ai publié un article. Mon alter ego anonyme étant bien plus célèbre que moi, l'affaire s'est répandue comme une trainée de poudre et a été reprise par toute la presse. Elle a tant ému le pays que les canidés ont tous trouvé une famille aimante.
Tous.
Sauf Hermès.
Massif, ses oreilles ayant été taillées dans un acte absolument barbare visant à le rendre visuellement plus effrayant, le chien n'attirait pas la compassion. Même pire, il était agressif, marchait étrangement, grognait souvent.
Je m'étais jurée de ne pas intervenir. Après tout, avec mon minuscule appartement, je ne pouvais pas lui offrir un foyer aimant.
Cependant, quand un informateur m'a prévenu qu'ils comptaient faire piquer le chien, je n'ai pas pu tenir en place. Je me suis rendue à la fourrière et ai exigé qu'on me le donne.
Ma demande a été refusée.
Selon eux, les grognements d'Hermès et sa méfiance vis-à-vis des humains pouvaient être indicatrices d'une maladie redoutable. En effet, il était agité, ne se laissait pas approcher, ne mangeait pas, peinait à se déplacer et donc avait sans doute des douleurs musculaires, peinait à bouger la nuque, ce qui pouvait indiquer une paralysie de la gorge...
En de brefs termes, ils le croyaient atteint de la rage.
Je savais que ce n'était pas le cas. La première phase de la rage dure au maximum dix jours et cela faisait deux semaines qu'il avait été recueilli. Alors je me suis rendue à la clinique vétérinaire Sourriseau. Je leur ai expliqué de quoi souffrait le chien, pour quelle raison je ne pensais pas qu'il s'agissait de la rage.
Je me souviens encore des yeux bruns de la vétérinaire brillant derrière son énorme monture.
« Le fait de ne pas manger et d'être agité peut s'expliquer par une peur légitime de l'Humain » avait-t-elle expliqué, songeuse.
Puis, ses lèvres s'étaient pincées.
« Pour ce qui est d'une difficulté de déplacement et d'une raideur à la nuque... Je pencherais plutôt pour un syndrome de Wobbler. Mais je dois voir ce chien ! »
Insistant au point d'agacer cette pauvre vétérinaire, je suis parvenue à obtenir d'elle une lettre tamponnée faisant part de ses doutes sur la possibilité qu'il s'agisse de la rage. J'ai alors à nouveau demandé à récupérer Hermès.
Ils ont refusé.
J'ai donc naturellement kidnappé ce chien.
— Tu es le meilleur crime que j'ai commis, mon bébé, je chuchote en l'entourant de mes bras, logeant ma tête contre lui.
Cela a été compliqué, mais Hermès a fini par me faire confiance.
La vétérinaire m'a annoncé fièrement qu'il s'agissait effectivement de cette maladie et que, ayant été décelée très tôt, elle pouvait être opérée et les chances de rémission du chien seraient élevées. Cependant, plus les jours passent, plus les chances qu'elle dégénère et attaque ses neurones grandissent.
A l'origine, elle coûte 400 €. Cela représente un tiers de mon salaire mais, en faisant des heures supplémentaires, j'aurais pu tenter de le payer.
Cependant la rééducation après ce genre d'opération est primordiale et le vétérinaire refuse de pratiquer cette intervention si le propriétaire de l'animal ne paye pas la rééducation en amont.
Il n'y a pas de clinique vétérinaire dans le coin et l'autre est débordée pour les mois à venir. Or le temps est précieux.
Je sais bien que je me fais enflée... Mais je ferais n'importe quoi pour sauver Hermès.
La chirurgie coûte 400 €. La rééducation dure quatre mois, chaque mois coûtant le prix de l'intervention.
Au final, je dois débourser un peu moins de mon salaire pour qu'il soit pris en charge.
— Je te promets de trouver une solution, mon ange, je chuchote tandis qu'une larme roule sur ma joue.
Un couinement me répond.
— Je sais, mon cœur, je sais.
Son corps est chaud, contre le mien. Nos températures mutuelles nous réconfortent. Cependant il souffre atrocement et, de mon côté, j'ai mal de ne pouvoir rien faire pour atténuer cela.
— Tu sais quoi ? je chuchote. Je sais ce qui serait idéal pour toi...
Me tournant vers le mur droit de ma chambre, je regarde l'immense bibliothèque le constituant. Tout une partie de cette dernière est garnie d'une dizaine de tomes d'une série de romans graphiques.
Tendant la main en direction d'un livre au hasard, le plus proche de ma position, je le saisis et l'ouvre. Aussitôt, Hermès pose le menton sur ma cuisse, prêt à m'entendre lire à haute voix cette fiction.
Je crois qu'il aime m'entendre parler, jouer des scènes, tout en le caressant. Dès que je dégaine un de ces écrits, il s'assoit de cette façon.
— Alors... C'est le tome 39, le dernier... Tu te souviens où nous avions laissé notre héroïne ?
Cela fait des années maintenant que je suis les aventures de Skylar, personnage principal du Temple des Narcisses. Ma passion pour ce webtoon, écrit par un auteur anonyme se cachant derrière le pseudonyme de Crocodile, a influencé différents aspects de mon quotidien.
Tout d'abord, dès le jour où il a décidé de faire imprimer des tomes de son webtoon, je les ai achetés. J'ai l'intégralité de la collection, bien qu'elle soit disponible en ligne.
Ensuite, tout comme Crocodile, j'exerce une activité sous un pseudonyme. Sous le nom de S. Rakyk, anagramme du prénom de l'héroïne Skylar, je travaille en qualité de journaliste.
Jamais je ne suis rémunérée mais mes articles sont beaucoup lus.
— Alors, alors... Voyons voir ce que nous allons découvrir pour la centième fois.
Je lâche un regard taquin à mon chien qui semble s'impatienter.
— Tu me regardes comme si ce n'était pas la millième fois que tu entendais cette histoire. Bon sang, j'ai hâte que sorte le tome 40 en ligne... Plus que deux jours.
Je caresse le crâne du chien.
— On aura de nouvelles choses à lire.
Crocodile a mis un compte à rebours après son dernier chapitre. Nous savons que dans deux jours, nous pourrons lire le début du tome 40. Je déborde d'excitation à l'idée de reprendre les aventures de Skylar.
D'autant plus que, dans une interview anonyme, Crocodile a annoncé que le prochain personnage à faire son apparition serait le plus important de la saga.
Et ce type a le don de créé les meilleurs antagonistes qui soient.
— J'ai tellement hâte ! Oh, c'est bon, j'ai compris. Arrête de me faire cette tête, je vais le lire !
Grattant l'oreille du doberman, je tourne la première page. L'écriture familière du titre m'apparait et je sens mon estomac se retourner.
— Si tu te souviens bien, le début prend place quand Skylar trouve une narcisse blanche dans les cheveux de Nimebus...
Hermès ferme les yeux, se laissant déjà bercer par l'histoire. Je souris, attendrie. Mais aussitôt, mon cœur se pince.
Car cela me rappelle douloureusement que l'horloge tourne.
𔘓
merci tellement pour votre
soutien sur mon dernier
chapitre !
je suis tellement contente
que ça vous plaise !!
𔘓
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